Résumé: - Comme je te dis Mohamed, il suffit de s’organiser. C’est une vraie mission pour sauver le Liban, les gens ne doivent pas descendre et remonter six étages en pleine nuit. Dès qu’il y aura une coupure, on sera là pour remettre le courant. Bien dormir, c’est bon pour la psychologie ! Tu comprends ?
- Je crois…
T
yr, 1985. Après plus de dix ans d'une guerre civile plus internationale qu'interne, même les grandes personnes ne comprennent plus ce qu'il se passe réellement entre les différentes factions en présence. Tous sont néanmoins d'accord pour dire que la situation est intenable, spécialement pour ce qui concerne ces satanées coupures d'électricité. Heureusement, Mustapha a trouvé une solution. Il va créer, avec l'aide de ses amis, la Super Ligue ; une équipe de super-héros au service du Liban !
Plutôt qu'une BD reportage « à la Joe Sacco », Joseph Safieddine (Le Monstre) a préféré emprunter la voie d'un conte moderne dans Les lumières de Tyr. Si les luttes internes qui ont déchiré et ensanglanté le Liban pendant des années sont évidemment au cœur du récit, le vrai sujet repose sur le sort réservé aux plus jeunes quand la société se désintègre. Tel Oskar, le petit héros qui refuse de grandir sous le régime nazi dans Le tambour, roman de Günter Grass adapté avec succès à l'écran par Volker Schlöndorff, Mustapha, Mohamed, Bassam, Sarah et les autres choisissent un moyen, ô combien symbolique pour les bédéphiles, pour résister tout en s'amusant. La nuit, affublés de masques et de capes de carnaval, ils deviennent, comme dans les illustrés, des super-héros. La tâche qu'ils se sont assignés ? Brancher les génératrices de courant quand le réseau disjoncte, une façon de maintenir la lumière et, donc, l'espoir. Si la métaphore peut faire sourire, elle permet au scénariste de montrer pudiquement, mais sans rien cacher, les horreurs générées par ce genre de conflit : jouets piégés parachutés qui défigurent les innocents, le stress psychologique qui détruit même les individus les plus solides et, peut-être le pire dans ce contexte, l'exil forcé qui sépare les familles. La note est salée. Heureusement, l’inébranlable optimisme de cette fine équipe de gamins rend la lecture de cet opus incroyablement roborative, même dans les pires circonstances, il ne faut rien lâcher et toujours rester positif !
Xavier Jimenez met en images cette histoire d'une manière éminemment convaincante malgré quelques hésitations ici et là, particulièrement pour les décors. Son approche en noir et blanc, ressemblant par moment à la linogravure, est évidemment bien adaptée aux passages nocturnes. Elle donne également une profondeur et une gravité certaine aux personnages. Les traits sont plus que visiblement tirés par la fatigue et la tension. Sans être d'une grande originalité, la mise en page est cependant des plus variées. Dommage que le dessinateur n'ait pas plus généralisé les constructions ambitieuses présentes sur certaines planches.
Original et d'une grande fraîcheur, Les lumières de Tyr est à découvrir d'urgence.