«
Et si je faisais seulement ce qui me plaît le plus en bande dessinée : composer des espaces ? » Tel est la prémisse originale qui a animé Alexis Beauclair dans la création de Loto. D’abord un projet personnel auto-édité qui, prenant de l’ampleur, est devenu un album expérimental minimaliste à la frontière de La nouvelle pornographie de Lewis Trondheim et des bonhommes silhouettes d’Ibn Al Rabin.
Nettement moins abstrait qu’il le suggère, l’auteur fait table rase des éléments usuels de la narration séquentielle. Scénario, décors, personnages, figuration, la mise en scène se limite à quelques ombres placées dans un environnement neutre que n’aurait pas renié Edwin A. Abbott ou Viktor Vasarely. La magie propre à la bande dessinée sublime ce monde géométrique dès que les formes, une sphère particulièrement, commencent à évoluer. Tout au long des douze chapitres, l’espace prend littéralement vie alors que la petite boule noire entame une longue mutation. Elle bouge, se dédouble, s’étale, rebondit et se cogne sur les bords des cases. Les pages du livre se transforment en une piste de cirque au-dessus de laquelle un funambule oscille dangereusement sur un fil tendu entre trois (voire quatre ou cinq) dimensions.
Les plus intimes mécanismes du Neuvième Art et ses coups d’esbroufe techniques sont présentés sans fard. Ramené à sa plus simple expression, l’ouvrage finit même par quasiment ressembler à un recueil de planches anatomiques. C’est ainsi donc que fonctionne le mouvement en image ? Oui, simplement un peu d’encre habilement étalée sur du papier qui entre en résonance avec le cerveau du lecteur. Le reste n’est que fioriture et accumulation de détails esthétiques et dramatiques.
Surprenant et amusant, Loto est une œuvre originale et ensorcelante qui ose s’aventurer au-delà des codes et des habitudes établies.