Résumé: Un enfant pêche sous le regard attentif de son grand-père Bernard. Une scène banale, en temps de paix. Mais gagnée des décennies plus tôt par le vieil homme, alors jeune Alsacien membre du groupe de résistants Feuille de lierre. Mais le Lierre vaincra-t-il la progression de l'Araignée nazie, qui a annexé l'Alsace ? Ou ses ennemis précipiteront-ils Bernard vers le camp de sûreté de Vorbruck-Schirmeck ? À moins que son sort ne soit encore pire...
Cette histoire, celle de son propre grand-père, fut longtemps un tabou familial. Alors Grégoire Carlé est parti à sa recherche à travers livres et rencontres de survivants, dressant le stupéfiant tableau d'une Alsace écartelée mais aussi un poignant portrait de son grand-père, héros discret pourtant aux premières loges de l'absurdité de la guerre. Un travail à la fois universitaire et personnel, d'une rigueur et d'une beauté étourdissantes.
L
es liens qui se forment entre un petit-fils et son grand-père sont spéciaux. Ce dernier est certes un "grand", mais il est différent des autres. Il raconte des histoires auxquelles on ne comprend pas tout, permet de faire des bêtises et apprend des astuces. La pêche, par exemple. Et c’est souvent pendant les vacances ! Cependant, parfois, un voile tombe sur les yeux de pépé. C'est comme s’il était ailleurs, perdu quelque part dans le passé… Un passé un peu mystérieux, dont la vérité est souvent découverte trop tard. Tenez, prenez Bernard, le grand-père de Grégory. Ce dernier n’apprendra qu’après le décès de son aïeul que celui-ci a été un héros, un Résistant, qui, à seize ans, foutait la pétoche aux Nazis ! Dommage qu’il ne lui en ait jamais parlé. Heureusement, des historiens ont travaillé afin de conserver cette mémoire et les archives ne manquent pas pour celle ou celui qui prendra le temps de les consulter.
Œuvre à la fois mémorielle et familiale, Le Lierre et l’Araignée s’ouvre et se referme sur la nature, le Rhin en particulier, ce fleuve frontière emblématique. Entre les deux, Grégory Carlé décrit la folie destructrice dont sont capables les hommes, le courage de certains, la lâcheté d’autres et, plus globalement, la futilité de leur existence face aux cycles immémoriaux de Gaïa.
Au centre de l’album, l’Alsace, qui, en cette année 1940, va revenir une fois de plus dans le giron et sous le joug de l’Allemagne. La Drôle de guerre actée, c’est l’Occupation et l’assimilation forcée dans le Reich qui commencent. La violence est inouïe. La population n’a pas trop le choix et se résigne face à une machine nazie sans pitié. Cependant, certains se lèvent et décident de se battre. Ils sont jeunes, des ados à peine sortis de l’enfance. Bernard fait partie de ceux-là. Leur force ? Une connaissance fine de leur environnement et leur âge (qui, à première vue, va se méfier de gamins ?). Toutefois, il ne s’agit pas d’un jeu et les conséquences sont bien réelles. Résultat, après quelques mois d’activité, ils vont se faire capturer et «rééduquer» selon la manière forte. Il y aura des drames, des morts et beaucoup de pleurs.
Détaillée, précise et sans fard, la narration offre un aperçu percutant de cette période noire. Le scénariste alterne les descriptions frontales quand c’est nécessaire et les allégories pour amplifier et généraliser son propos. Il en résulte des planches saisissantes et des illustrations qui restent gravées dans les esprits. Le tout est renforcé par des couleurs en demi-teintes et de subtiles variations de textures. L’ensemble forme un tout quasiment organique mêlant le réalisme le plus cru avec l'expressionnisme le plus inquiétant. Quelques allers-retours entre les époques permettent au lecteur de prendre un peu de recul et de mieux assimiler les différentes pistes ouvertes par l’auteur. Il en résulte un ouvrage plein doté, d’une force d’évocation impressionnante.
Même si toutes les comparaisons ne sont pas parfaites (mettre en vis-à-vis 39-45 avec la destruction des écosystèmes et la pollution ne coule pas forcément de source), Le Lierre et l’Araignée s’avère être un album d’une tenue parfaite et à l’imagerie débordante d’inventivité. À lire, relire et à partager autour de soi, assurément.
La preview
Les avis
polcamu
Le 18/06/2024 à 00:17:49
Tout part du fleuve et tout revient au fleuve. Magnifique récit initiatique qui nous est livré ici. Ouvrage mémoriel et familial. Ouvrage didactique et important. Carle ne nous fait pas de cadeau et nous confronte rapidement à ce que l'on peut faire ou penser de pire. Mais au final, quelle magnifique leçon de transmission, de souvenir et d'hommage. Malgré la dureté de cette oeuvre, elle reste accessible à tous et offre un témoignages attachant, important et indispensable.
Colomban
Le 09/03/2024 à 09:54:29
Quelle belle œuvre !
Il y a bien sûr la découverte de l'engagement d'adolescents alsaciens contre le nazisme et la main-mise allemande sur l'Alsace, leur engagement total malgré l'emprisonnement et l'enrôlement de force dans les troupes allemandes.
Il y a aussi cette transmission familiale entre un grand-père et son petit-fils, On sent délicatement combien leur proximité est celle de l'apprentissage de la pêche à la mouche et pas celle du passé que le grand-père n'évoque pas.
Alors pour cela, il y a ces berges du Rhin si magnifiquement dessinées par Grégoire Carlé, ces insectes qui peuplent les rivières, qui sont le trait d'union entre le grand-père et son petit-fils.
Une belle œuvre de mémoire familiale et collective, une belle description d'une nature, celle des bords de la rivière, qui est un hymne et un appel à garder conscience et souvenir de l'horreur que peut produire l'homme et de la beauté de la nature.