C
hizuna Takashiro et son frère Kazuna vivent de nouveau sous le même toit, coupés volontairement du monde, en proie à leur étrange maladie familiale. Mais la jeune fille refuse obstinément d’apaiser son envie de sang en buvant celui de Kazuna, afin de briser le cercle infernal précédemment établi avec leur père et de mettre fin à leur lignée maudite. A la suite d’une crise plus violente, Minase, le médecin de Chizuna, n’a d’autre solution que de l’hospitaliser.
Dans les Lamentations de l’Agneau, Kei Toume (Sing Yesterday for me, Zero) s’approprie et revisite le mythe du vampire de façon aussi originale que sombre et fataliste. Plus de Dracula ni de château gothique ni de cercueil, mais des êtres humains bien vivants affligés d’une maladie héréditaire incurable caractérisée par une terrible soif de sang humain. Ce mal infâmant empêche les Takashiro qui en sont victimes de vivre normalement et les conduit peu à peu à la folie ou au suicide. Le "vampirisme" oblige les malades à s'isoler parce que ceux-ci sont potentiellement dangereux et que l'infirmité est inconnue du monde médical, le secret ayant été bien protégé par des générations de Takashiro.
Ainsi, lorsque la maladie se déclare brutalement chez Kazuna, jusqu'alors épargné, celui-ci, déjà peu sociable, décide de rompre tout lien avec ses parents adoptifs et sa seule amie, Yo Yaegashi, le jeune fille qu'il aime secrètement. Il préfère suivre sa soeur, atteinte depuis l'enfance par le mal, seule à pouvoir le comprendre et l'aider. L'isolement de Chizuna et de son frère dans leur vaste maison familiale permet à leur relation de se développer au rythme des crises. Teinté d'inceste, ce lien très particulier, ajoute des accents malsains à un propos noir, morbide et pourtant fascinant qui rappelle Zero. Le dessin incisif de Kei Toume et sa technique d'encrage augmentent encore le malaise qui s’insinue durant la lecture. Il met à nu les caractères des personnages, leurs désirs et leur bestialité – du moins pour les deux « vampires » - grâce à l'expressivité des visages, à l'alternance entre gros plans et plans larges et au dépouillement des décors.
Parsemée de souvenirs et de confrontations, l’intensité dramatique continue de monter lentement et insidieusement dans le volume 5 des Lamentations de l’agneau. Centré sur Chizuna, ce tome permet au lecteur d'être confronté directement au mal des Takashiro et aux attitudes des personnes qu'il affecte, malades comme entourage. Solitude, acceptation de la mort inévitable, refus des soins sont évoqués et ébranlent tant ils rappellent des situations connues peuvant toucher personnellement. Enfin, la maladie même de Chizuna et Kazuna est le rappel constant de la valeur symbolique vitale et taboue du sang. Cela confère au manga une dimension presque mystique et suggère que nous sommes tous des malades, condamnés à mourir.
Chef d'oeuvre narratif et graphique, Les lamentations de l'agneau est une série fascinante et remarquable qui peut séduire un large public.