C
'est le départ ! Un immense bateau quitte les côtés néo-zélandaises pour celles, moins exotiques, de la Grande-Bretagne. A son bord, un groupe de maoris caresse l'espoir de gagner, en quelques mois, suffisamment d'argent pour assurer, à son retour, la survie des familles. C'est en tout cas ce que Hartmann, un producteur de spectacles folkloriques, leur a promis. Si l'arrivée en terre anglaise se passe comme prévu, la tournée est loin de connaître le succès escompté. Et pour Hartmann, tous les moyens sont bons pour récupérer son investissement. Même si pour cela, il doit envoyer la petite troupe dans les tristement célèbres zoos humains, qui faisaient fureur au début du XXe siècle.
En 1907, le jardin tropical de Paris, situé dans l'est du Bois de Vincennes, est inauguré. La même année a lieu l'Exposition Coloniale où sont rassemblés, dans des décors de carton pâte, des peuples venant d'Afrique et d'Asie. Plus de 2 millions de visiteurs se pressent pour découvrir, derrière des barrières, des hommes et des femmes exhibés telles des bêtes sauvages. Olivier Jouvray et Virginie Ollagnier reviennent, avec Kia Ora, sur cet épisode peu glorieux de la politique de colonisation de l'époque.
Changement de cap avec ce deuxième tome. Alors que le premier décrivait les charmes de la nature néo-zélandaise, les danses ancestrales du peuple maori ainsi que le manque de travail et les difficultés à nourrir toute une famille, Zoo Humain parle de déracinement, de choc de cultures mais aussi de la façon dont les habitants, venant de pays conquis, étaient perçus et traités. A n'en pas douter, l'histoire de Kia Ora, joliment racontée mais aussi fortement romancée, est encore très loin de la réalité. Le personnage de Nyree, par exemple, une petite fille embarquée par erreur, ajoute un côté espiègle et léger. Loin d'édulcorer le récit, ce genre d'artifice permet au contraire de fluidifier la narration, de la rendre moins austère, tout en décrivant avec précision les conditions de vie des maoris ainsi que leurs rêves qui, petit à petit, tombent en lambeaux.
D'autant que les personnages imaginés par les auteurs échappent fort heureusement à un manichéisme convenu. Les anglais ne sont pas tous des bourreaux esclavagistes et les néo-zélandais, des enfants de chœur. Quant à Nyree, elle devient au fil des pages de plus en plus attachante et c'est un véritable plaisir que de la voir évoluer, avec ses yeux d'enfant, dans un monde très souvent hostile.
Le dessin d'Efa sied parfaitement à l'histoire. Réaliste par moments, plus naïf à d'autres, il conserve ce juste équilibre entre authenticité et fiction, entre gravité et frivolité. Quant aux décors, s'ils paraissent de temps en temps un peu moins précis, un peu moins fouillés, ils permettent de se concentrer sur les hommes et les femmes maoris, qui demeurent le principal sujet d'attention.
Kia Ora aborde avec intelligence un phénomène culturel très en vogue dans les empires coloniaux de la première partie du XXe siècle. Loin de sombrer dans le mélodramatique, la série offre une lecture très raffraichissante et très instructive. La fin du deuxième tome laisse augurer d'un nouveau voyage vers un autre continent. Carte d'embarquement prête !