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ue s'est-il passé en France en 1975 ? La généralisation de la Sécurité Sociale à l'ensemble de l'activité professionnelle ? La mort de Mike Brant ? L'arrêt de production de la célèbre DS ? Oui, mais surtout le lancement de l'extraordinaire, du fabuleux, du magnifique Métal Hurlant, LE magazine français de bande dessinée de science-fiction publié jusqu'en 1987 par les Humanoïdes Associés. Deux ans après la sortie de Métal Hurlant 1975-1987, la machine à rêver, c'est cette fois de l'intérieur que cette formidable aventure éditoriale est racontée. Son auteur en a été le témoin privilégié, le "dessinateur espion", le virtuose tourbillonnant. Son nom, Serge Clerc.
Jean-Luc Fromental, l'actuel responsable de Denoël Graphic, n'est autre que le dernier rédacteur en chef de Métal Hurlant, ce qui explique très certainement la sortie très rapprochée, chez le même éditeur, de deux ouvrages traitant du défunt magazine. Le Journal est bien plus qu'une simple chronique, bien plus qu'une vision un peu nostalgique d'une époque aujourd'hui révolue. Il propose au contraire une véritable immersion dans l'histoire du périodique, une vision pas toujours objective mais terriblement passionnante. Jean-Pierre Dionnet, l'un des pères fondateurs, avoue d'ailleurs dans une préface très instructive que "Serge Clerc était le seul qui pouvait raconter le journal".
A mort la bande dessinée traditionnelle ! L'esprit Métal, ce sont les pin-ups venues d'Outre Atlantique, les romans noirs de Manchette mais aussi la science-fiction de Mœbius ou de Druillet, ainsi que le rock incarné par Philippe Manœuvre. C'est aussi une époque, celle du disco et du mouvement punk, d'un certain nihilisme, d'une anarchie revendicative mais également de la censure (le journal sera réservé aux adultes jusqu'en 1978), du rêve américain (Métal Hurlant fut publié sous le nom d'Heavy Metal aux Etats-Unis), de la liberté, de l'alcool et des filles faciles.
Avec l'arrivée de Chaland, c'est toute l'école des grands classiques de la bande dessinée belge qui débarque et qui peaufinera ainsi le style si particulier de Serge Clerc. Ce dernier est une éponge qui va s'imprégner de toutes les influences amalgamées depuis son arrivée au journal, à l'âge de 17 ans. De la ligne claire ? Bien plus que ça. Son trait est unique. Trop longtemps absent, il aura fallu attendre près de 10 ans pour le retrouver à travers cet ouvrage étonnant qui lui a demandé quatre années de travail.
Certes, l'album risque de rebuter les non-initiés; certes, les innombrables références trouvées sur des couvertures très kitsch ou par le biais de "private jokes" agaceront peut-être aussi les autres; certes, les cases souvent surchargées et parfois carrément illisibles n'aideront pas vraiment à la compréhension. Néanmoins, Métal Hurlant reste une légende, un ovni qui a influencé et influence encore toute une génération d'auteurs. Le Journal retrace brillamment son histoire. Perfect !