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n super-héros qui se bat contre des méchants « normaux », c'est un peu facile. En revanche, si en face il y a un super-méchant, le combat prend tout de suite une autre allure. C'est peut-être ce que s'étaient dit Bob Kane et Bill Finger en introduisant le Joker. Enfin, Batman trouvait un adversaire à sa taille ! Créé en 1940, le plus taquin des disciples de saint Genès marque immédiatement les esprits et devient la première crapule récurrente de la série. Il entame également l'impressionnante liste de malfrats hauts en couleur (Le Pingouin, Le Chapelier fou, Double Face, etc.) qui sont devenus une des marques de fabrique des aventures de la Chauve-Souris.
La lecture de Joker Anthologie est intéressante à plusieurs titres. Premièrement, le personnage est jouissif en lui-même. Véritable psychopathe grandiloquent et mégalomane, le Joker répand le chaos autour de lui en ne suivant que son bon plaisir. Deuxièmement, son évolution dans le temps est fascinante. La sélection d'épisodes, qui s'échelonne sur plus de sept décades, montre à quel point les différents auteurs ont voulu décortiquer l'âme de cette créature. Bandit violent sans foi ni loi à ses débuts, passage à vide durant les années soixante pour cause de censure, suivi d'un retour aux sources dix ans plus tard pour devenir une âme torturée et complexe lors du renouveau des comics à la fin du XXe siècle (cette renaissance est peut-être le mieux incarnée par le mythique Killing Joke). Troisièmement, ce florilège permet un survol de l'histoire de la BD américaine. Le naïf âge d'or aux scénarios et dessins surannés, auquel succèdent les âges d'argent et de bronze caractérisés par une professionnalisation et une commercialisation effrenée du métier, avec, pour finir, l'âge moderne qui voit la psychologie des archétypes étudiée à la loupe.
Très bien documenté, l'ouvrage propose aussi de nombreux textes introductifs ainsi que des fiches biographiques particulièrement bienvenues. Le choix des récits est judicieux, même si certains extraits d'arcs narratifs tombent un peu à plat. À signaler tout spécialement la présence de l'excellent L'homme qui rit d'Ed Brubaker et Doug Mahnke. Cette longue fable jusqu'à maintenant inédite en français s'inscrit dans la lignée d'Année Un du duo Frank Miller/David Mazzuchelli et s'étend sur la relation d'amitié naissante entre le Justicier Masqué et le commissaire Gordon pendant qu'un Joker déchaîné et revanchard s'en prend à Gotham dans son ensemble.