C
'est en 1987 que paraît Souviens-toi d'Enola Gay…, premier tome de Jessica Blandy, devenu depuis lors un classique de la collection Repérages. Mais qui est Jessica Blandy ? Stéréotype de la blonde à forte poitrine ? Pas seulement. Au fil des albums, elle se révèle être une femme à la personnalité tourmentée, déchirée entre son aspiration au bonheur et le malheur qui, inlassablement, la poursuit. Femme libérée avide de sexe et d'alcool, mais aussi humaniste convaincue, prête à donner son amour, sans concession.
Depuis maintenant 23 tomes, nous la suivons au cœur d'aventures qui, sous forme de polars des plus traditionnels, l'amènent à rencontrer personnages inquiétants et forces obscures. L'univers créé autour d'elle s'étoffe sans cesse, surtout par l'apparition de nouveaux arrivants. Amis ou ennemis, ils déteignent sur la vie de Jessica, chacun la marquant toujours plus. Mais ces relations ne sont pas figées, elles évoluent au fil des différentes rencontres, selon les circonstances. Certains s'en vont, d'autres reviennent, beaucoup meurent, souvent violemment. Car c'est bien un monde de haine que nous décrivent les auteurs, un monde où amour et bonté sont appelés à disparaître.
C'est parfois au moment où l'on s'y attend le moins que certains personnages reviennent sur le devant de la scène. Ainsi, pour ce 23e tome, nous avons droit au retour de Victoria Charman, une jeune femme noire apparue pour la première fois dans Satan, mon frère et Satan, ma déchirure, respectivement 9e et 10e tome de la série, un diptyque dans lequel elle se mettait, aux côtés de son frère, au service de La dame, entité annonciatrice de mort. Dans cette nouvelle aventure, elle fait partie des Gardiens employés par Josuah Hartfish pour surveiller les chambres 27 de tous les immeubles bâtis par Barr Torrenson, architecte de renom mort peu après que sa fille, Missie Lizzie, ne se jette de la fenêtre de la chambre 27 de leur immeuble. Les chambres portant ce numéro fatidique sont chaque année prises d'assauts par des fanatiques qui semblent sortis de nulle part et veulent s'y sacrifier pour faire renaître Missie Lizzie.
Depuis le début de la série, Dufaux nous à habitués à des scénarii obscurs où le fantastique règne en maître. Cet album ne déroge pas à la règle et apporte son lot de mystères et de personnages un peu fous (voire complètement déjantés). Il multiplie les rappels aux albums précédents, un point qui permettra aux habitués de la série de se remémorer de bons moments mais empêchera les autres d'apprécier leur lecture.
Un album qui ne s'adresse qu'aux fidèles ? Certainement. Mais seront-ils satisfaits de ce nouveau récit, qui ne se terminera que dans le prochain tome à paraître en novembre 2005 ? Rien n'est moins sûr…
Entendez-moi bien. La chambre 27 n'est certainement pas un mauvais album, loin de là, et il se lit avec un certain plaisir, celui de retrouver un personnage que l'on côtoie depuis longtemps et qu'on aime retrouver au détour d'un album. Mais il est trop formaté, comme si la routine s'installait quelque peu après autant d'albums, comme si les auteurs peinaient à se renouveler et nous servaient de nouveau la même recette éprouvée. Et pourtant, la fin du tome précédant, Blue Harmonica, laissait présager d'un tournant important de la série. Mais ce revirement n'est pas assez exploité et ce nouvel album ne s'engage que trop timidement dans la voie qui s'ouvrait devant Jessica Blandy. Dommage. Par ailleurs, certains défauts viennent s'ajouter à cette déception : une narration moins fluide, des retournements de situation quelque peu tirés par les cheveux, une fin précipitée… Bref, cet album est loin d'être le meilleur de la série, même si le prochain sera intéressant à découvrir pour en apprendre davantage sur l'identité de Missie Lizzie et sur les motivations des protagonistes d'une histoire qui attise tout de même notre curiosité.
Que penser de cet album, en fin de compte ? Tout simplement qu'il est sans surprise. Pas mauvais, pas raté, mais sans surprise, aussi bien au niveau du scénario que du dessin. De fait, le travail de Renaud semble se figer alors qu'il avait favorablement évolué depuis ses débuts. Seule sa mise en couleurs gagne en maîtrise depuis quelques tomes. La chambre 27 n'empêchera peut-être pas les lecteurs de la première heure de poursuivre l'aventure mais n'attirera pas de nouveaux adeptes. Blue Harmonica restera (à jamais ?) une histoire à part, chef d'œuvre perdu au milieu d'une série certes de qualité mais qui, à force de toujours utiliser les mêmes ficelles, a quelque peu perdu de son charme d'origine.