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n jeune homme en imper, souvent distrait, avec une paire de lunettes rondes sur le nez, ça vous rappelle quelqu'un ? Mais si... Il n'a pas le permis, roule en solex et voue un véritable culte à son petit déjeuner. C'est bien évidemment Jérôme K. Jérôme Bloche, l'un des détectives privés les plus sympathiques du 9ème art.
Ce troisième tome de l'intégrale de ses aventures couvre la période 1998-2005. Quoi de neuf dans l'univers de ce personnage créé au tout début des années 80 par le trio Dodier-Makyo-Letendre ? Dodier est depuis 1989 seul aux commandes et a su non seulement conserver l'intérêt des enquêtes mais aussi moderniser son héros sans jamais le dénaturer. Ce qui est frappant, dans la quasi totalité des albums, c'est le décalage entre la gravité des faits et la légèreté de la narration. Cette faculté est sans doute l'une des clés du succès : savoir toucher un très large public, de l'adolescent à l'adulte, du plus sensible au plus endurci.
Car il faut bien admettre que certains thèmes abordés sont plutôt sensibles et limite "casse-gueule". Dans La Comtesse, l'enquête de Jérôme tourne autour du viol et de l'inceste. Pourtant, l'auteur parvient à éviter tout voyeurisme ainsi que le côté larmoyant et mélodramatique. La victime et le tortionnaire ne sont jamais montrés, simplement mentionnés dans une lettre qui fait office de témoignage. La Lettre est d'ailleurs la suite de cette histoire dans laquelle Babette doit s'introduire au cœur d'une secte, une immersion décrivant les ravages psychologiques et financiers que peuvent subir certaines personnes en détresse ou trop crédules. Dans La Marionnette, les rêves et les espoirs d'une jeune fille rappellent l'égoïsme d'une société individualiste où chacun ne trouve pas toujours sa place, où d'autres, plus fragiles encore, s'inventent une vie fantasmée pour échapper à leur propre existence.
Dans l'univers de Jérôme K. Jérôme Bloche, la Femme joue un rôle essentiel, souvent dotée d'un caractère fort, sûre d'elle et maître de son destin, alors que l'Homme est présenté comme un être plus fragile, plus influençable, plus corruptible. Dans Un Petit Coin de Paradis par exemple, un homme d'une quarantaine d'années vit encore sous le joug de sa mère, une femme colérique et sans pitié, alors que dans Un Fauve en Cage, une jeune fille lutte pour retrouver sa mémoire et venir en aide à son frère tueur et schizophrène. Et que dire de Babette, la petite amie de Jérôme ? Hôtesse de l'air, elle n'hésite pas à aider de temps en temps son détective adoré quand ce dernier se trouve dans des situations inextricables.
S'il existe surtout un point commun indiscutable entre ces six histoires, c'est un formidable plaisir de lecture. Les éditions Dupuis ont eu la très bonne idée de réunir dans cette intégrale les aventures du jeune détective. Mais comment ne pas regretter la triste sobriété de l'ouvrage ? Pas de making of, aucun historique du personnage, aucun petit mot de la part de Dodier... Pour fêter ses vingt tomes, Jérôme a eu droit à un beau gâteau de presque mille pages auquel il manque simplement une jolie cerise.
Lire la chronique du tome 1 de l'Intégrale de JKJB
Les avis
yannzeman
Le 24/05/2016 à 14:36:08
J'ai lu les (premières) aventures de ce détective lunaire dans le "journal de Spirou", lorsque j'étais enfant/adolescent.
J'aimais beaucoup ce personnage, ces enquêtes loufoques et sa relation timide avec sa jolie Babette.
Et puis, j'ai grandi, pas toujours pour le meilleur, je me suis tourné vers des BD plus "péchues", d'action (Tanguy et Laverdure", "Buck Danny", "Black et Mortimer"...).
J'ai cru que "Jérome K Jérome Bloche", ce n'était plus pour moi, que j'avais mieux à lire que cette série gentillette.
Pendant des années, je suis passé à côté de cette formidable série humaniste.
Heureusement, pour l'ahuri que j'étais, Dupuis a eu la formidable idée de sortir ces intégrales en N&B, à un prix très abordable, qui m'ont incité à franchir le pas.
Passé l'effet "madeleine de proust", à relire ces BD de mon enfance, j'ai réalisé toutes les qualités (graphiques, scénaristiques) de cette série et des ces personnages attachants.
Je n'ai qu'un regret :
l'absence de couleurs ; par moments, ça manque, et cela m'inciterais presque à acheter les albums en couleurs.
Mais pour mon malheur, j'ai commencé en intégrales, alors je continue...
Franchement, ne passez pas à côté de ce monument de la BD franco-belge, dont la qualité ne diminue pas avec les années, ce qui est rare.