L
es choses vont de mal en pis à l’asile de Saint-Iscariote. Les dirigeants y font régner une discipline de fer et quand ce n’est pas suffisant, ils prescrivent une lobotomie. Des membres du personnel réalisent par ailleurs des expériences sur les pensionnaires, lesquels servent de cobayes à la cause scientifique. Prochain sur la liste, Jean-Baptiste Chabaud est déterminé à s’évader de cet enfer. Pour y parvenir, il fait équipe avec Frédéric-Alexandre Fleurdepois, un danseur misérable, et Javier D’Arce, un savant fou. En quête de liberté, les fuyards s’aventurent dans les labyrinthes de la maison de santé, découvrent des secteurs qu’ils ne connaissaient pas et comprennent que les sévices subis par les malades sont bien plus importants qu’ils ne le croyaient.
Le scénario signé Sylvain de Carufel et François de Grandpré se veut l’antépisode des spectacles musicaux de Jardin mécanique, lesquels sont présentés au Québec depuis quelques années. Il offre un éclairage sur les origines des trois zigotos dont les performances allient rock et théâtre. Le récit, bien qu’il soit complètement déjanté, suit un schéma somme toute classique : menace d’une intervention chirurgicale inappropriée, fuite parsemée d’embuches et dénouement heureux. Les protagonistes sont également archétypaux : l’homme d’action, l’artiste et le scientifique unissent leurs forces pour affronter un ennemi représenté par les pouvoirs administratif et religieux. Sur ce canevas en apparence convenu, les auteurs construisent une histoire originale qui se nourrit de ce que les individus ont de plus sombre, mais surtout, ils induisent un climat glauque et dérangeant.
Graphiquement, il faut regarder du côté de Dave McKean, particulièrement Les fous d’Arkham, pour établir un lien avec l’album dessiné par Jeik Dion. Ce dernier mêle dessin et peinture, sur lesquels il superpose des effets d’égratignure et projette des éclats de rouge. Les planches sont très foncées ; en fait, il n’y a que les phylactères qui apportent un peu de lumière dans ce monde saisissant, noir, violent et angoissant. La composition se montre tout aussi atypique, la plupart des pages sont constituées d’une image principale (où un même personnage peut apparaître plus d’une fois), sur laquelle sont déposées quelques vignettes, généralement petites, soulignant et précisant certains éléments. Un seul bémol : en retravaillant les illustrations à l’ordinateur, l’auteur floute de nombreuses composantes des décors. L’objectif est probablement de diriger le regard du lecteur vers ce qu’il juge essentiel, mais au final, l’amateur déplore de ne pas pouvoir explorer l’ensemble de la case.
Sur scène et sur disque, les musiciens ne se prennent visiblement pas au sérieux ; peut-être manque-t-il un peu de cette distanciation dans la transposition de leur univers au neuvième art. Cela dit, ce livre, audacieux et créatif, mérite attention.