Résumé: Jack London a connu plusieurs vies : vagabond, chercheur d'or, chasseur de phoques, garde-côte, militant... Il en a tiré une des oeuvres littéraires les plus fortes de sa génération : des grands romans d'aventure, mais aussi des romans sociaux où il a dénoncé les injustices de son époque. Koza crée ici un album unique. Un hommage éblouissant à un homme qui a vécu à la hauteur de son oeuvre.
E
n avril 1907, l’écrivain Jack London quitte San Francisco à bord du Snark, voilier dont il a dessiné lui-même les plans. Accompagné de son épouse Charmian, épaulé par un équipage plus ou moins bancal, il entreprend un tour du monde. Le périple aurait dû durer sept années ; il s’arrêtera au bout de deux. Hawaï, les îles Marquises, Tahiti, l’auteur écume l’océan Pacifique, sur les traces d’Herman Melville et de Robert-Louis Stevenson. Entre deux ordres donnés à ses marins de pacotille, il passe ses journées à écrire : un roman, qui deviendra Martin Eden, un des sommets de son œuvre, des nouvelles et un récit du voyage. Il plonge aussi dans les centaines de livres qui l’accompagnent, dont le poids influe parfois un peu trop sur la ligne de flottaison. Entre diverses avaries, mal de mer et souffrances dues au manque d’eau potable, le voyage perd souvent son caractère romanesque.
Koza (c'est-à-dire Maximilien Le Roy) est connu pour ses prises de position dans le conflit israélo-palestinien mais aussi pour ses récits biographiques consacrés à Nietzsche, Thoreau ou Gauguin. Il a choisi vingt-quatre mois de la vie du romancier aventurier pour dire la diversité, la richesse, les forces et les faiblesses de cette figure emblématique de la littérature. Le huis clos de l’embarcation, où dominent les gestes de la vie quotidienne, les conversations intimes et la souffrance des corps, alterne avec escales et retours en arrière. Les unes abordent le problème du colonialisme, les autres évoquent des épisodes passés. Se succèdent ainsi le théoricien du socialisme, toujours avec Karl Marx dans une poche, le détenu pour vagabondage, le journaliste couvrant la guerre russo-japonaise, le chercheur d’or au Klondike ou l’explorateur du grand nord.
Arriver à bon port ou sombrer en essayant est un roman graphique au sens plein du terme, dans la mesure où l’image occupe tout l’espace et les dialogues sont rares et brefs. La poétique de Koza consiste en un équilibre précaire entre la vérité historique sur l’individu et la spéculation sur ce qu’il a pu voir, dire ou ressentir. Il s’agit de reconstituer, avec l’arbitraire de la subjectivité et l’interprétation de l’auteur, la réalité de cet homme pour qui découvrir et comprendre le monde passe autant par le voyage que par la lecture ou l’écriture. Il y est question d’inconscience et de prises de risques, d’ouverture au réel et d’enfermement dans l’écrit, d’errance, d’amour, de tendresse, de colère et de révolte.
Graphiquement, Koza fait le choix des contrastes de couleurs forts, des visages troubles, de gestes imprécis ou des décors parfois réduits à leur plus simple expression. Il évite le piège de la précision virtuose pour lui préférer l’impressionnisme d’un paysage, d’un objet ou d’une atmosphère. Des pleines pages ponctuent de leurs moments de méditation et de suspension du temps un récit qui alterne les calmes plats et les coups de vent d’une existence toujours en mouvement.
Un artiste sensible rencontre un homme hors norme, pour un voyage intérieur au cœur de l’âme de chaque lecteur qui voudra bien s’y perdre, pour mieux se trouver.