U
n beau jour - c'est ici une expression - une pousse de Jacaranda perce l'asphalte dans une rue de Tôkyô. L'arbre atteint en quelques heures des dimensions extraordinaires causant un vent de panique tandis que les scènes de chaos s'étendent progressivement dans tous les quartiers de la ville.
Jaracanda est un bien curieux manga. Sur plus de trois cent pages il déroule son histoire d'une journée qui aurait pu être ordinaire, l'Humanité poursuivant son œuvre de lente destruction de son berceau. Mais ce jour-là, cette plante se met à pousser. Elle n'entraîne pas directement de catastrophe, les hommes qui gravitent autour du bourgeon s'en chargent eux-même. Sans s'en apercevoir, comme souvent, ils auront par la suite beau jeu de mettre ça sur le compte d'un évènement qui leur échappe et qui leur est imposé. Pour l'heure, la violence se déchaîne, les morts en nombre s'additionnent.
A la lecture de ce manga, il est particulièrement difficile de savoir sur quel pied danser. C'est parfois si ridicule et outrancier qu'il est impossible de ne pas sourire, voire de s'esclaffer d'un rire moqueur (dans la postface, l'auteur confie qu'il aurait "aimé concevoir ce manga comme une suite de gags" mais le résultat est là même si l'intention n'y est pas réellement). C'est aussi si violent et cataclysmique qu'on se dit qu'au cours de son exercice d'écriture au fil de l'eau, Kotobuki s'est laissé griser par son projet au point de s'abandonner à une certaine complaisance lorsqu'il s'agit de montrer les morts violentes et d'exposer les corps des victimes. Du point de vue de la forme, c'est un accès d'hystérie qui semble s'emparer parfois du dessin. Le rendu précis alterne avec le croquis le plus sommaire et la confusion du trait lâche et épais, sans qu'on puisse déceler un semblant de cohérence dans l'utilisation successive de ces techniques. Sans compter un effet de répétition apparent de certaines scènes qu'on a tendance à survoler en ne vérifiant plus vraiment si elles apportent quelque chose de plus en terme d'intensité et d'amplitude tant elles paraissent globalement similaires aux précédentes.
La démarche et le message justifient-ils - ou à tout le moins autorisent-ils - ce traitement déroutant ? Le chaos n'est-il jamais mieux rendu que par une forme chaotique ? Plutôt que de miser sur l'option du ratage, ce sont au minimum les questions qu'on peut se poser en plus d'autres, plus évidentes. Elles concernent évidemment l'apparente nécessité pour l'Humanité de devoir frôler l'Apocapypse avant de se décider à changer ses comportements. Ces interrogations, on les avait à l'esprit dès les premières pages. Mais à ce niveau de lecture également, l'auteur surprend en accompagnant sa conclusion, teintée à l'excès de mysticisme alors qu'on attendait du pragmatisme, d'une symbolique simpliste (la pluie purificatrice qui précède l'aube du jour nouveau). Le choix de ne pas suivre de personnage particulier pour s'intéresser à la ville dans son ensemble, et par extension à l'Humanité, ajoute à la distance et à l'implication toute superficielle au moment de la découverte des pages.
Si le but de Jaracanda est de dérouter pour faire réagir le lecteur, force est de reconnaître que la fin justifie les moyens, que Shiriagari Kotobuki est décidément bien malin et que ses efforts ne restent pas vains. La postface et l'interview qui concluent le livre sont également les bienvenues pour en apprendre un peu plus sur sa vision, voire être surpris par une interprétation qu'on pourrait être tenté selon lui de faire de son récit. La dernière page lue, pas de rejet, seulement l'impression d'être passé à côté de quelque(s) chose(s), parce qu'on n'est pas familiarisé avec l'œuvre de l'auteur, avec certains symboles ou je ne sais quoi d'autre mais c'est aussi patent que frustrant.
Profitons de l'occasion pour saluer l'audace dont fait preuve Milan, à l'origine de la surprenante collection Kankô qui propose ce titre en lui offrant une présentation particulièrement soignée.
Une fois n'est pas coutume, un lien vers une chronique sur un autre site : Jacaranda