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ans les années quatre-vingt dix, une bien lourde tâche devait échoir à Grant Morrison : relancer la fameuse Ligue de Justice d’Amérique, les « Big Seven » s’étant, au détour de leurs aventures individuelles, égarés aux quatre coins du multivers. C’est avec plus ou moins de réussite qu’il s’acquitta de ce fardeau comme en attestent les 9 premiers épisodes réunis dans ce JLA – Nouvel Ordre Mondial.
Pour résumer grossièrement, quatre arcs constituent le présent album. Le premier conte l’arrivée de l’Hyperclan, une confrérie de super-héros venus sauver notre monde de la destruction qui le guette. L’intention est louable mais la JLA n’est pas dupe... Dans le second, la JLA recrute Tomorrow Woman, une perle rare mais les apparences sont trompeuses... La troisième histoire narre la lutte épique des Légions du Paradis et de l’Enfer, la Terre est une fois de plus menacée… Un Ange salvateur déclinera l’invitation à rejoindre la Ligue… La dernière partie du volume relate les premiers pas du dernier Green Arrow en date, au moment où la JLA est confrontée à ses pires cauchemars et à autant de futurs alternatifs. La période d’essai va être mouvementée… On l’aura compris : ces épisodes sont placés sous le signe de l’ANPE super héroïque. Rien de très original donc, l’album fait même dans la redondance bon marché et le plaisir à durée déterminée.
Il reste l’écriture et le dessin. Morrison s’en tire convenablement, à l’expérience, et s’accommode sans trop de peine des contraintes de l’exercice malgré des scénarios relativement indigents si ce n’est tout bonnement indigestes. La narration porte les stigmates de l'époque : extrêmement resserrée, parfois elliptique, à l’opposé du style décompressé qui prévaut le plus souvent aujourd’hui. Peu de temps morts, et peu, si ce n’est pas d’explication sur certains ressorts narratifs. Pourtant, certaines scènes méritaient à tout le moins une note de bas de page. Pourquoi Superman a-t-il abandonné la cape pour un justaucorps bleu et blanc ainsi que des pouvoirs électriques ? Les néophytes en seront pour leurs frais, les autres se rappelleront avec émoi de cet - toute proportion gardée - Hernani de l’univers DC (Voir la saga New Power).
Au-delà, Morrison réussit à introduire au sein de la licence des préoccupations qui lui sont chères et parvient à faire ressortir la part d’humanité de chacun des héros, les faisant de la sorte descendre du piédestal iconique sur lequel ils s'étaient figés. Superman interroge sa prétendue invulnérabilité, les nouveaux Green Lantern et Flash cherchent encore leurs marques au sein de ce panthéon etc. Les dialogues font alors la différence. Il est plutôt bien vu cet humour potache et les clins d’œil référencés qui se glissent au sein des explosions et des déchaînements de violence. Ainsi Batman qui ironise sur l’influence déplorable de Nintendo ou ce protagoniste rappelant à chacun que « la crise est terminée » ; les planches aussi où Flash se remémore certains épisodes des Simpsons, surnomme Aquaman « Poisson Man » ou ergote avec Green Lantern, au cours d’une partie de jeux vidéo, sur la nouvelle apparence de Superman. De même, les scènes où le fils Queen découvre les antiques flèches de son père et de s’écrier : « Flèches gants de boxe ? Papa, oh papa. Tu causeras ma perte ». Amusant certes, insuffisant malgré tout. On a connu Grant Morrison en bien meilleure forme.
Quant à Porter, remplacé par Jimenez à la fin du volume – et c’est heureux –, il ne semble pas à son aise à moins qu’il ait choisi de se cantonner aux canons graphiques de l’époque : influence du manga palpable dans la réalisation de robots évoquant les méchas d’un Apple Seed ou d’un Evangelion, dessin pompier et couleurs flashy, des personnages hiératiques semblant perpétuellement prendre la pose, et ce en contradiction avec le message distillé par Morrison... Il n’y a décidément pas grand-chose à sauver de l’esthétique super héroïque façon fin de siècle… si ce n'est cette charmante coupe mulet qui affuble l’homme d’acier !