I
l y a cent fois cents ans, le grand Tengu mangeur d'âmes fut vaincu par l'union de trois braves : le guerrier Yorimitsu, la renarde Myobu et Kagu, un Yôkai de feu. Le temps a passé et bien qu'emmurée dans sa grotte, la créature légendaire fomente un plan redoutable pour s'échapper et punir les héros. La jeune Itchi est guidée malgré elle devant la grotte d'où émane une lueur rose. Elle est captivée par une pierre précieuse, mais un corbeau l'attaque aussitôt. De loin, une renarde blanche a suivi la scène. Le destin semble être en marche...
Stéphane Melchior trouve à nouveau son inspiration dans l'Asie. Après avoir adapté la légende du Roi Singe , ce passionné des mythologies se fait plaisir en empruntant un maximum dans la galerie fantastique des légendes japonaises. Il reprend la trame scénaristique du conte, auquel il ajoute l'importance de la destinée. Son héroïne est victime de la perfidie du Tengu, mais elle a la possibilité de retrouver ce qu'elle a perdu grâce à l'aide de Kagu et d'autres Yôkai qui arrivent au fur et à mesure du récit. La dynamique de ce dernier résulte de la découverte de la réelle identité des parents d'Itchi, puis de leurs actes passés expliquant la rancœur du mangeur d'âmes. Le choix même du nom du personnage principal illustre la connaissance que le scénariste a de la culture nipponne, puisque le terme itchi, qui peut se traduire par un, est présent dans une expression très connue : "Ichi-go ichi-e" (une fois, une occasion). Celle-ci correspond à un état d'esprit qui vise à chérir l'unicité de l'instant présent. Pour les nipponophiles, il est donc possible de voir un lien entre le nom de la fille et son adaptation à sa fatalité. L'histoire comporte un nombre impressionnant de références que les lecteurs les plus âgés pourront reconnaitre, et les plus jeunes découvrir, d’autant plus que l'album se termine par un petit lexique. Il s'agit bel et bien d'un premier tome (sur cinq prévus) d'une série jeunesse et Stéphane Melchior est rompu à l'exercice. L'histoire reprend deux codes scénaristiques fortement appréciés : le parcours initiatique et le destin, tout en comportant son lot de moments comiques venant faire contrepoids à d'autres davantage portés sur l'action ou le drame. Le dosage est parfait et il comporte assez de pistes pour attendre avec impatience le prochain album.
Loïc Locatelli assure les dessins. Les bédéphiles le connaissent pour son travail sur Ni Dieu ni maitre, Perséphone ou encore Pocahontas. Il adapte son trait pour approcher le style apprécié et plébiscité par les jeunes lecteurs sans trahir son scénariste. En effet, tout le rendu visuel sent l'influence du cinéma d'animation (ainsi, un personnage du Voyage de Chihiro apparait sur une vignette) et du manga avec un dessin, qui, lui est franco-belge. Les protagonistes, venant du folklore japonais, conservent leur aspect traditionnel, les rendant ainsi reconnaissables pour les habitués tout en rendant hommage au maître du genre : Shigeru Mizuki. Le tengu possède son masque rouge avec un long nez, la Kitsune les habituels traits rouges sur son visage... Le travail de recherche graphique est indéniable et son adaptation pour enfants est réussie.
La lecture de ce premier tome d'Itchi et les mille yokai est plaisante à plus d'un titre. C'est un début de série jeunesse très prometteur.