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ean Giraud/Moebius n'est pas un auteur infaillible, il est également sujet au syndrome de la page blanche, surtout lorsqu'il a décidé d'arrêter de fumer de l'herbe. Blueberry en fait les frais pendant que le Major Fatal et Arzack dissèquent le moi, l'ego et les turpitudes de leur créateur. L'auteur en profite pour se confronter à son double "modèle 1970" et à ses personnages pour mettre en couleur ses impressions et réflexions. Le 11 septembre a marqué les esprits et celui de Moebius ne fait pas exception à la règle, l'arrivée d'Oussama Ben Laden aux cotés de ses héros de papier en est la preuve. Geronimo et Malvina auront fort à faire pour démêler tout cela.
A quel moment de la vie ou de l'œuvre d'un auteur l'édition d'un journal intime devient-elle essentielle ? Apparemment sur le tard pour certains, à en juger par l'énorme publication qu'est Inside Moebius (au minimum 5 à 6 tomes sont prévus) qui parait près de 50 ans après le début de carrière de Jean Giraud. A l'origine de cette envie, la décision d'arrêter de fumer et le besoin de mettre par écrit cette expérience et ses à-coté. Comme tout évolue, les carnets de l'auteur deviennent vite un miroir de ses pensées et le second volume est complètement influencé par l'actualité qui vient interférer sa méditation. Les deux sources d’inspiration se mêlent, formant ainsi une image assez concrète du processus créatif ou plutôt ici du processus de non-création absolue de l’artiste. En pleine détresse, celui-ci garde néanmoins un humour décapant, se moquant de lui-même, de ses personnages mais également des intrus qui viennent polluer ses errances cérébrales. Cependant l’humour n’est pas tout, sans atteindre des sommets philosophiques (qui sont le plus souvent abscons), certaines théories avancées sont l’œuvre d’un penseur maîtrisant parfaitement ses facultés intellectuelles. Gir est encore bien maître du destin de Blueberry et sans fumer encore !
La spontanéité reste intacte malgré le décalage entre réalisation et publication, puisque près de 5 ans se sont écoulés et que depuis la création a bien été au rendez-vous. Le trait jeté sur le papier, sans crayonné préalable, revêt une simplicité ou seul l’indispensable est conservé. Un minimalisme à la Sfar ou Trondheim, avec la couleur en plus. Le désert "B", pays des errances de l'esprit de Moebius et jeux de mots savoureux pour qui arrête l’herbe, ressemble plus au Monde d'Edena qu'aux plaines parcourues par Blueberry mais le style ne laisse pas de doute, ce sont Moebius et Jean Giraud qui doutent et dessinent. Nombreux doivent être les dessinateurs rêvant d'avoir un premier jet de cette qualité. Le lettrage aurait mérité une petite retouche car certains textes sont parfois difficiles à déchiffrer, mais c'est vite pardonné au vu de l'ensemble.
Il est rare de se dévoiler ainsi avec une telle sincérité dans le propos, les vertus de la thérapie par l'écrit expliquent sûrement cette audace.