Résumé: Lulu embarque dans les choses de la vie avec ses comparses Joe et Chiara. Mai 68 est une nébuleuse qui n’a pas encore atteint les montagnes jurassiennes. Pourtant, les échos lointains de la Sorbonne s’invitent sur les bancs d’école et aux tables du bistro de quartier. Lulu découvre Ferré et feuillette Le Petit Livre rouge. Germent alors, comme les pâquerettes qui font la nique à l’hiver, les idées d’un monde nouveau, idées que va suivre passionnément tout une génération d’indociles. Joe vient d’un milieu bourgeois. Son père dirige une usine d’horlogerie et fait de la fanfare. Joe aimerait bien faire éclater les carcans… Quant à Chiara, fille d’immigré italien, elle est en quelque sorte l’égérie de Lulu. Elle revendique la liberté d’expérimenter tout ce qui vient : sexe, drogues, bourlingues, modes de vie.
L
ulu et Jo vivent leur dix-sept ans dans le Jura suisse de la fin des années soixante. Pour tromper leur ennui, il y a le bistrot du coin, quelques discussions un peu passionnées sur fond de problèmes de société et de politique. L’un est rejeton de prolo, l’autre fils du propriétaire de l’usine d’horlogerie du coin. Un rien rebelles dans un environnement où éducation rime avec rigueur et goupillon, intéressés par le sexe opposé, ils sont prêts à saisir toutes les occasions qui les sortiront de leur quotidien si ordinaire. Et il y a Chiara aussi qui apparaît aux côtés du duo…
Les indociles est une des jolies surprises de ce début d’année 2012. En suivant les tribulations de ces deux grands ados, il y a en effet de quoi franchement s’amuser et, contrairement à eux, ne jamais s’ennuyer. C’est néanmoins avec toute la prudence qu’impose sa forme que la découverte de l’album de Camille Rebetez et Pitch Comment s’engage. Le dessin ne fait pas dans l’épate, la question de savoir si les expressions attachées au terroir ou si l’histoire locale ne vont pas être trop pesantes se pose,et, pourtant, rapidement, la lecture va bon train et ne s’interrompt pas avant un cliffhanger époustouflant, digne des chroniques sociales les plus addictives. Cette dernière appréciation, qui pourrait postuler à une place sur un bandeau rouge qui ceindrait le livre, est évidemment à prendre avec le même type de second degré que celui dont font continuellement preuve les auteurs.
Tout est bien observé, tout fait écho à des souvenirs d’époque, qu’on l’ait vécue ou qu’on en juge à l’aune de ce qui en a été rapporté, et ce bien au-delà du périmètre d’un canton helvétique. Bien sûr, les oppositions entre les communautés francophones, alémaniques ou italiennes sont typiques, mais, pour le reste, les sujets sont parfaitement transposables : racisme à l’égard de la main d’œuvre venant du Sud, opposition des classes, émergence du mouvement hippie et de la libération sexuelle, conflits intergénérationnels, tentation de s’émanciper et de braver quelques interdits érigés par les garants de l’ordre et de la morale. Les clins d’œil font sourire sans tomber dans le pastiche. Les anecdotes, mises au service de l’histoire, fourmillent dans un tout qui finit par être dense pour tracer le portrait d’une époque sans se départir d’une bonne humeur communicative. Les bourgeoises qui se plaisent à déniaiser les jeunots, le flower power appliqué pour tirer parti de la naïveté d’oies blanches, l’absence de scrupule du « patronat » ou encore les beauferies racistes, rien n’est foncièrement neuf mais tout passe. Il y a sujet à moquerie, pourtant la chronique impose le respect. Le dessin, pas toujours très régulier, impose une fraîcheur qui va bien au récit. Chacun devrait y aller de ses plus et de ses moins, car la palette est large et plus ou moins finement abordée (la mère de famille et l’infidélité, la croqueuse de chair fraîche, les allusions qui ne sont pas bien comprises, le tabou de l’homosexualité).
Finalement, certaines comédies, raillées avant d’être réhabilitées pour leur capacité à « tirer le portrait » d’une époque sans prétention documentaire, reviennent naturellement à l’esprit (la première partie de la filmographie de Pascal Thomas par exemple ; moins celle de Michel Lang même si on croise ici une « petite » Anglaise qui n’a pas froid aux yeux face à un grand ado prêt à succomber à ses charmes). Avec Lulu, fin des années soixante, Rebetez et Pitch Comment disposent en plus d’un recul qu’ils mettent à profit.
Pour l’heure, impossible de savoir si cette saga en six tomes retraçant cinquante ans de l’histoire de jeunes devenus adultes et de leur progéniture sera d’une tenue équivalente à ce premier volume. Toujours est-il que Les enfants rouges accroche une nouvelle découverte à leur catalogue et qu’elle ne manque pas de saveur. La suite est annoncée pour la rentrée, alors un conseil : suivez Les indociles heureux.