C
e quatrième tome s’intitule Des molécules, il aurait tout aussi bien pu s’appeler : des petits riens, des quantités négligeables, ... Peut-être le but était-il de déshumaniser au possible le propos en réduisant tout à une simple formule de chimie. Et pourtant, que d’humanité dans cet album. Il parle de nous, enfin surtout de nos voisins, il s’entend ; parce que Binet maîtrise à merveille l’art de faire ressortir moult détails guère seyants. Et puis soudainement, c’est le contrepied : l’histoire d’un bête cochon et d’un bête papa, que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre. Un petit tour de manège, les rôles sont chamboulés et le lecteur pris à la gorge par l’émotion.
Ce quatrième tome reprend la série en cours Propos irresponsables, mais il ne faudrait pas se laisser aller à une critique trop rapide d’un modus operandi ponctuellement utilisé chez les éditeurs pour relancer un envol difficile. Dans le cas présent, le jeu en vaut la chandelle. Si Trondheim a Les formidables aventures sans Lapinot, Binet a ses « tranches de vie sans les Bidochons » ! Tout en est issu. Le découpage archi-classique, des personnages dont l’apparence graphique recèle de multiples détails truculents (de la mine réjouie jusqu’aux doigts boudinés) et les décors, certes réduits à leur plus simple expression, mais prouvant qu'avec peu, il est possible de faire de grandes choses (rien que les papiers peints évoquent tant). Sans oublier ses lettres de noblesses : le lettrage. Plus c’est gras, plus ça gueule.
Donc, pas de révolution dans le monde de Binet, bien au contraire, mais sans doute l’un de ses albums les plus aboutis. Sortir du pré-carré des Bidochons pour s’égarer au coin de la rue lui a permis d’aller plus loin dans certains domaines, jusqu’à un ultime pied de nez à tendance Vuilleminesque, sans concession.