Daniel Clowes nous dépeint la banalité dépressive du cauchemar américain avec ses thèmes favoris : solitude aliénante, relations sociales factices et affaiblissement généralisé des valeurs morales...
Certains personnages dégagent une sourde brutalité, d'autres un désepoir infini, mais tous vivent dans une tiède résignation et un quotidien pathétique, un authentique enfer moderne...
Malgré le côté introverti de beaucoup d'entre eux, voire franchement antipathique, l'auteur dépeint avec justesse leurs états d'âme, leur besoin de reconnaissance et finalement leur profonde souffrance morale.
De l'image même du petit David qu'on a kidnappé, et qui semble muet de souffrance, aux récriminations guindées du poète raté, en passant par l'indicible amour d'un frère pour sa demi-soeur, elle même hystérique à l'idée de finir comme ses parents, le flic incapable de réfréner sa propension à la violence, ou encore l'épicier asiatique blasé au delà de toute expression, toutes ces existences frustrées se frôlent et s'usent progressivement, sans en avoir l'air, jusqu'à n'être plus que des spectres atomisés.
Le déroulement de l'intrigue est délicatement saupoudrée d'une dose d'étrangeté un peu lynchienne, comme la mise en abyme de la BD dans la BD, avec le passage de Léopold et Loeb.
Côté dessin, on retrouve les mêmes changement de style développés récemment dans Wilson, sans le côté systématique, et l'ambiance fifties chère à l'auteur.
Rien de bien nouveau, mais dans la continuité...
Comme souvent avec Clowes, le côté OVNI littéraire forcera le lecteur à revenir vers l'oeuvre, pour en tirer toutes les subtilités en deuxième lecture, mais même si j'ai abandonné deux fois sa lecture, rebuté par le côté abstrait, tant du dessin que du contenu (c'était ma première confrontation avec le maître), le jeu en valait la chandelle, et le dénouement ne peut manquer de laisser songeur.
Particulièrement, les passages avec le critique littéraire, qui décortique la BD elle-même au fur et à mesure que l'action progresse, sont en soi très rafraichissants, et donnent à maintes reprises l'occasion de s'interroger sur le pourquoi de cette démarche.
On est constamment balancé entre l'idée que l'auteur comprend la critique littéraire et la pratique lui-même assidûment, et celle qu'il la méprise complètement...
Qu'au fond, on deviendrait critique parce qu'on a pas le talent pour être auteur, et on se venge en dénigrant ce qui est brillant, par pure mesquinerie (l'exemple du poète raté...)
J'arrête là, il aurait tant à dire...
Je vous recommande vivement la lecture de ce, ne soyons pas modestes, véritable chef d'oeuvre, hélas assez difficile à se procurer...
C'est cet album qui m'a convaincu de me laisser entrainer dans l'univers ordinaire, mais néanmoins riche d'enseignements, de cet auteur, qui prend manifestement tant de plaisir à égratigner les impostures du rêve américain...
daka
Le 02/10/2006 à 20:38:55
Je découvre Daniel Clowes avec cet album, eh bien une fois refermé, il est certain que je vais poursuivre la découverte.
De prime abord, le graphisme, tellement personnel et efficace, séduit. Ensuite l'histoire en elle-même enfonce le clou.
C'est une chronique de vie ordinaire, des habitants de Ice Haven le tout sur fond d'un drame qui secoue la bourgade.
Les personnages sont formidablement dépeints. Certains sont attachants, d'autres franchement antipathiques, mais toujours d'une justesse incroyable.
Donc, 8/10 : à lire absolument.