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i>« Quand le monde s’écroulera dans le feu et dans le sang, quand la guerre rentrera dans les maisons, quand le frère tuera le frère, toi tu deviendras riche ! Tu vivras des aventures extraordinaires, mais tu seras riche ! »
A qui s’adresse donc cette prophétie ? A un chef d’Etat dont la puissance rejaillit sur le monde entier ? A un homme d’affaires d’envergure internationale, dont la moindre des décisions influence le cours du monde ? Non. Elle s’adresse à Siméon Nevzorof qui, en février 1917, exerce la modeste fonction de comptable dans une ville de St Pétersbourg soumise aux affres de la révolution.
Mais qui est vraiment Siméon Nevzorof ? Tour à tour comptable, directeur de tripot, propriétaire terrien, agent de renseignements, simple maquereau... il est en tout cas à l’image de notre monde : prêt à tout pour survivre et continuer à croire, à croire en sa bonne étoile et en sa richesse future. Prêt à dévaliser de pauvres gens, à abandonner amis et amantes, à tuer s’il le faut, à dépouiller des cadavres, à s’encanailler avec tout ce que la terre compte de plus vil et de plus abject. Est-il donc si méprisable ? Non. Car il est aussi victime, victime du monde dans lequel il tente de survivre, tombant sans cesse de Charybde en Scylla, tout simplement impuissant, avec pour seul espoir la prédiction d’une bohémienne. Fol espoir, mais que lui reste-t-il d’autre ? Dans ce monde sans pitié, où l’homme est un loup pour l’homme, où la vie n’est possible qu’en instigant la mort, que faire d’autre que le pauvre Siméon ? Là est toute la force d’Ibicus, poser un regard sans complaisance sur la nature humaine et son désir primal de rester en vie, parfois au détriment de celle des autres.
Autre force, celle de ses personnages. Nombreux, tous différents, ils ont un caractère, une force qui les rend à la fois crédibles et touchants : Allotchka, peintre et droguée, Rtichtchev, joueur et aventurier, Platonovitch, propriétaire terrien et escroc à la petite semaine, Liverovski, chef du contre-espionage et crapule notoire... Jamais tout à fait blancs, jamais tout à fait noirs, ils portent l’histoire de Siméon, lui qui se contente de laisser faire les choses, n’infléchissant que très rarement la course du destin. Et les femmes, ô combien importantes dans notre histoire. Qu’elles soient comtesses ou putains, ne représentent-elles pas finalement la seule ambition des hommes, eux qui de tous temps se donnent des airs dominateurs mais plient sous leur force tranquille et indomptable ?
Par cette histoire aux accents romantiques et humanistes, réfugiés derrière un déchaînement de violence à l’échelle de la folie humaine, Pascal Rabaté tire du roman d’Alexis Tolstoï un chef d’oeuvre qui, magistral, élève la bande dessinée au rang d’art majeur, reflet de l’immense créativité de l’esprit humain.
Plus encore, cette histoire, aussi riche soit-elle, ne dégagerait pas autant de puissance sans le dessin de son auteur. Il ne se contente pas d’accompagner le récit mais le complète à merveille, et chaque case est un tableau, une invitation à la contemplation et à l’émerveillement. Comment parler de ce dessin ? Je préfère me taire que me répandre en discours interminables. Aveu d’impuissance de ma part ou incapacité des mots à décrire l’art dans ce qu’il a de plus beau ? Après tout, qu’importe...
L’art de Pascal Rabaté, j’en reste convaincu, ne s’analyse pas. Il se ressent. Il se vit.
Les avis
Erik67
Le 30/11/2020 à 16:16:14
J'aime bien le style de Rabaté. Ici, il s'inspire d'un roman de Tolstoï qui raconte le destin de Siméon Nevzorof, un obscur comptable qui va profiter de la guerre pour devenir riche. C'est un véritable aventurier un peu cynique et certainement criminel dans la tourmente de la Russie révolutionnaire de 1917. C'est une période de l'Histoire qui me fascine car c'est toute une société qui bascule dans l'effondrement de l'autorité du Tsar. Pour autant, je n'ai pas été pleinement conquis.
Le dessin me semble très épuré. Cependant, le graphisme tend à s'inspirer des peintres expressionnistes comme Goya et Gréco qui étiraient volontairement leurs personnages pour donner une autre dimension. Si le choix graphique se justifie, il ne me plaît pas beaucoup car il reste invariablement dans une même teinte noire-grisâtre.
Entre cynisme et opportunisme, Ibicus est un véritable drame dans la révolution bolchevique. Avis aux amateurs !
minot
Le 12/10/2015 à 18:05:46
Relatant le destin d'un certain Siméon Nevzorof pris dans les tourments de l'Histoire, IBICUS est une série hors-norme à tous les niveaux : un scénario dense aux multiples rebondissements qui dégage un vrai souffle épique, des personnages extraordinaires, un univers chaotique (la Russie révolutionnaire de 1917) et surtout un dessin aux tons pastels blancs et gris absolument majestueux, qui rend encore plus tourmenté l'univers et les personnages de ce récit.
Une aventure épique de bout en bout; le genre de BD qui vous met une immense claque dans la figure, même après plusieurs relectures !
zemartinus
Le 04/04/2012 à 23:51:40
Pour lire mes autres chroniques : http://hulkestmort.canalblog.com/
« Quand le monde s'écroulera dans le feu et le sang, quand la guerre rentrera dans les maisons, quand le frère tuera le frère, toi tu deviendras riche ! tu vivras des aventures extraordinaires, mais tu seras riche ! »
Telles sont les paroles qu’une diseuse de bonne aventure lâcha un beau jour à Siméon Nevzorof. Quatre ans plus tard nous sommes en 1917, la révolution gronde en Russie, Siméon se remémore les paroles de la gitane, pense son heure arrivée. Il n’est en fait pas au bout de ses peines...
Œuvre magistrale orchestrée par un Pascal Rabaté au sommet de sa forme, Ibicus est une série de plus de 500 pages adaptant de manière très libre un roman écrit par Alexeï Tolstoï (pas Léon) en 1924. Il y est donc question d’un homme, Siméon Nevzorof, antihéros complet dont le portrait est génialement brossé par ce bougre de Pascal Rabaté tout au long des 500 pages de son récit. Sorte de nihiliste immature à la nonchalance outrancière et au dandysme surfait, un peu minable, un peu lâche, à tendance mythomane, opportuniste jusqu’au bout des ongles, notre héros arrive pourtant à en devenir attachant et drôle, développant un instinct de survie et une capacité à rebondir assez incroyables. Regardant la belle Istanbul depuis les marches de l’établissement de jeux qu’il vient d’ouvrir, ne se déclare-t-il d’ailleurs pas lui-même « roi du monde » ? Mais avant d’en arriver là, il en aura vécu des péripéties ! De Pétrograd à Moscou, de Moscou à Kharkov, de Kharkov à Odessa, de Odessa à l'île d'Halki,de l'île d'Halki à Istanbul, tour à tour agent comptable, cocaïnomane, comte, tenancier de tripot, propriétaire terrien, vagabond, détrousseur, négociant grec, agent du contre-espionnage, mendiant, proxénète turque. Notre homme se laisse porter par les évènements, emporté par les vagues du marasme russe de ces années de révolution, cherchant son profit là où il se trouve, laissant la grande histoire lui passer au-dessus de la tête pour mieux se la prendre de plein fouet dans la gueule. Il grimpe, dégringole, remonte, retombe, alternant sans cesse entre hauts et bas, passant de douces périodes d’insouciance à des moments de crise dramatiques. Partout violence, partout folie, mais aussi romantisme. C’est raconté habilement, avec fluidité, au hasard des aléas de la vie de notre héros, enchaînement de scènes efficaces et éloquentes. Avec ça, des personnages secondaires bien campés, et une caractérisation très réussit des rôles principaux qui croisent la route de Siméon.
L’ensemble s’apparente ainsi à une sorte de douce symphonie, Pascal Rabaté ayant réussit à instaurer un rythme particulier à sa bande dessinée, grâce notamment à de longs moments de silence où les dessins se suffisent amplement à eux-mêmes, à des pages construites autour de cases grand format, et à un texte peu abondant qui tape toujours juste. La construction des planches peut parfois être très intéressante et les arrière-plans, animés d’une vie propre, fort riches, mais c’est en premier lieu le style graphique de l’auteur qui saute aux yeux : de très beaux dessins noir et blanc à l’acrylique, des jeux de lumière intelligemment pensés, et des personnages aux courbes longilignes dont les expressions faciales sonnent plus vrai que nature. Un résultat de toute beauté, pour une bande dessinée qui n’en manque pas. Le chef-d’œuvre de Pascal Rabaté se trouve là, assurément.
dalloway
Le 25/03/2012 à 10:41:38
L'histoire rocambolesque de Simeon Nezvorof, personnage filiforme, opportuniste et fourbe prêt à tout pour ne pas faire mentir la prédiction d'une bohémienne.
Le tout renforcé par un dessin en noir et blanc sublime !!!
J'ai du coup très envie de découvrir le roman d'Alexis Tolstoi à l'origine de cette adaptation de Rabaté.
zazou99
Le 22/05/2007 à 15:07:37
Attirée vers Ibicus par d'autres BDs de Rabaté, et par des échos favorables, me voilà lancée dans le pavé. Parce qu'effectivement c'est un gros pavé, tout en noir et blanc, d'ambiance très sombre.
A la lecture l'impression ne se dément pas: l'histoire est sombre, très sombre. Où sont les maigres lueurs d'espoir? Ah si, quelques passades échangées dans un besoin mutuel d'humanité, voire même quelques sourires de femmes. Car si l'on parle avant tout d'argent et de survie au sein de cette tempête, de cette fuite hors de portée des bolchéviks, finalement, tout le monde recherche avant tout les faveurs de la gent féminine. Alors peut-on dire qu'Ibicus s'en sort avec les honneurs? Peut-être.
Le dessin porte admirablement le scénario, il le complète, l'enrichit.
Bref, noir, génial, dur. Une de ces BDs qui montrent que le genre est très loin d'avoir exploré tous les possibles, qui font le lien entre divers arts (peinture, littérature, bd), et vont au-delà.