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n 1919, Harry Allen, cheveux courts gominés et cigarette à la main, fait face au journaliste du Seattle Times qui le questionne. Cela fait bien longtemps qu’il a délaissé son nom de naissance pour suivre sa propre voie. De Nell Pickerell, fille d’un père alcoolique et d’une mère battue, il ne reste que le souvenir d’une enfance difficile et d’une certitude : il est un homme dans un corps de femme. Harry n’a eu de cesse de le montrer et de le prouver, menant une existence bohème faite de petits boulots, d’amours éphémères, d’excès en tous genres et d’aller-retours en cellule. C’est qu’il a le coup de poing facile, l’énergumène, et que ses amantes ont une fâcheuse tendance à se suicider !
Après La baronne du jazz et Les enfants d’abord , Stéphane Tamaillon et Priscilla Horviller œuvrent à nouveau de concert pour raconter et mettre en images la vie d’un des premiers transgenres reconnus aux États-Unis.
Célébrité locale, ce Harry Allen né Nell Pickerell (1882-1922) s’était vu consacré une cinquantaine d’articles dans la presse au cours de la vingtaine d’années où il s’est fait remarquer. Le scénariste s’est donc appuyé sur cette documentation pour dresser le portrait de ce personnage, moyennement recommandable et marginal. L’interview accordée par l’homme au Seattle Times en 1919 sert de prétexte à un retour en arrière, afin de dérouler cette existence peu commune. Ainsi, des rives du Klondike, en Alaska, aux bas quartiers seattlïens, en passant par les saloons de Spokane et les ranchs du Wyoming, le parcours de Harry Allen est parsemé d’épisodes troubles et d’expériences qui le mènent régulièrement devant le shérif ou la justice. Ces tribulations sont narrées dans un ordre chronologique et ponctuées par quelques considérations livrées par le protagoniste au pigiste qui recueille ses dires. Une vérité est rajustée ici, une responsabilité amoindrie là, et le choix d’un genre différent du sexe assigné à la naissance est rapidement expliqué. Pour autant, et malgré les efforts de Stéphane Tamaillon pour broder afin de combler les zones d’ombre, la psychologie profonde de cet individu hors norme peine à ressortir ; dès lors, il semble se cantonner à des postures et à l’image qu’en ont donné les journaux. Le coup de crayon semi-caricatural de Priscilla Horviller anime avec vivacité ce récit d’une vie atypique. Les acteurs se détachent en couleur sur des cases sans contour au fond généralement uniforme – bleu-gris pour les souvenirs et brun clair pour l’entrevue journalistique. Les décors sont soignés et évoquent plutôt bien les ambiances propres au Far West.
Publié dans la collection MARAbulles, Hors-la-loi. L’histoire d’un cow-boy transgenre ouvre une fenêtre sur le cas peu commun d’un être qui a fait fi des convenances de son époque pour vivre à sa guise. Un traitement de bonne facture pour un exemple digne d'intérêt auquel il manque néanmoins le petit plus accrocheur.