V
incent s’ennuie ferme et est à la limite de la dépression. Toute la journée, il tourne en rond dans son appartement et peine vraiment à s’occuper. Il cogite sévère et ses vagues tentatives pour sortir de sa torpeur se soldent systématiquement par des échecs. Un soir comme un autre, Julia, sa nouvelle voisine, sonne à sa porte. Elle a l’air sympathique. Paralysé par la timidité, le jeune homme ne sait que faire de cette apparition miraculeuse et reste muet. S’il veut la revoir et réussir à lui parler, il va falloir qu’il se reprenne sérieusement.
L’homme gêné ou Avant que l’ombre ne vienne débute comme un énième ouvrage humoristique façon Fabcaro. Auto-dérision, décalage et un soupçon d’absurde sociétal, la recette est bien connue. Ajoutez un découpage en format court (strips et demi-pages), plus un dessin minimaliste et une mise en scène volontairement répétitive et vous obtenez l’exemple type de la BD boboïsante et dans le vent. Le résultat est amusant, mais guère original.
Une centaine de pages plus tard, la situation évolue drastiquement. Visiblement, Matthieu Chiara s’est lassé de sa formule et change un peu son fusil d’épaule en faisant sortir son héros de chez lui. Le fond du propos s’élargit subitement et intègre une réflexion sur le temps qui passe, les attentes de tout un chacun et le poids du passé sur nos actions d’aujourd’hui. Un peu de psychologie et de philosophie sont désormais au programme, heureusement toujours soutenu par un humour très fin et omniprésent. La maladresse congénitale, ça ne se guérit pas aussi facilement et s’avère très utile pour donner du ressort à ce qui se résume finalement à une longue série de dialogues à deux ou trois personnages.
Entre cinéma d’auteur sec et sérieux et comédie (vaguement) romantique ou dramatique suivant le point de vue, L’homme gêné ou Avant que l’ombre ne vienne se révèle être une œuvre originale et ambitieuse. Une curiosité faite d’un savant assemblage de petites gênes et de petits riens qui font tout le sel de l’existence.