L
a couverture est sobre : Hitler est assis sur un tabouret, seul, et son ombre se détache sur un fond aux couleurs du drapeau du NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands). Deux lectures de cette mise en scène sont notamment possibles, l’une d’elle attend l’injonction « accusé, levez-vous », l’autre le début d’un - funeste - one-man show.
De cette biographie partielle - Mizuki commence son ouvrage à Vienne, alors que le jeune Adolf est étudiant -, il est certain que son auteur attend des réponses de celui qui, de l’autre côté du globe, alluma l’étincelle qui permit le drame qu’il relate dans Opération mort, réalisé peu après cet album paru en 1971. Difficile d’affirmer qu’il soit parvenu à ses fins, en effet, le Hitler qu’il y présente est assez proche de celui mis en scène par Chaplin dans Le dictateur : insaisissable. Hitler était-il fou ? Difficile de trancher la question alors que les spécialistes peinent à s’accorder sur ce sujet. Évidemment, d’une certaine manière, oui, mais dans le même temps, il fut un stratège redoutable et un leader transcendant qui dupa les plus grands de ce monde avant qu’il ne soit trop tard. Alors ?
Cet ouvrage n’apporte pas de révélations en la matière, mais s'avère très bien construit pour expliquer l’ascension au pouvoir de cet homme : la mauvaise personne, au mauvais endroit, au mauvais moment. C’est là-dessus que se concentre cette bande dessinée de Mizuki, s’attachant davantage à l’homme et à ses actions qu’à ce qui en a découlé. Ainsi, il ne consacre qu’un quart de son récit à la Seconde Guerre Mondiale et ne s’attarde guère sur les atrocités qui ont été commises en parallèle - il n’évoque pour ainsi dire pas la Solution finale, ne mentionne pas réellement l’ordre d’exécution et ne parle pas de la « Nuit de cristal ». Le fait qu’il ait littéralement éludé la jeunesse d’Hitler peut interloquer ; cela sachant que sa relation avec ses parents est connue pour avoir été pour le moins complexe. Peut-être a-t-il fait ce choix pour éviter de le dédouaner par ce biais, ou peut-être plus simplement parce qu'Hitler s'est forgé politiquement à Vienne.
Ce livre, exception faite de son introduction, suit l’ordre chronologique des événements tout en restant concentré sur le personnage principal. Afin de bien ancrer son histoire dans son temps, Mizuki a peaufiné ses arrières plans, notamment en travaillant à partir de documents d’époque qui contribuent à l’authenticité de ce qu’il raconte et permettent de ne pas oublier à quel point Hitler était porteur de mort. Au premier plan, les protagonistes sont plus sommairement esquissés, ce qui accentue leur expressivité, offre une lisibilité bienvenue et permet de jouer sur la gestuelle pathético-burlesque du Führer, ô combien en décalage avec sa fonction, ô combien révélatrice de son déséquilibre, et surtout, ô combien affolante au regard des conséquences de ses actes, de ses décisions. Il convient de saluer le travail d’édition encore une fois soigné de la maison Cornélius qui, en outre, introduit Hitler en apportant au lecteur européen un éclairage à propos de la démarche de l’auteur.
La quatrième de couverture, bien moins sobre que la première, mais tout aussi théâtrale, relève du cauchemar : Hitler, encore seul, erre comme terrifié et perdu, son pitoyable drapeau à la main, au milieu de squelettes qui semblent comme en vie, sous un ciel rouge sang. Comme une allégorie révélant une prise de conscience subite qui vient parachever la conclusion qui tombe comme un couperet en s'inscrivant dans la lignée de ce qui a été dit avant : l'aboutissement d'une route de folie et d'une volonté aussi obtuse qu'obnubilée.
En cette période marquée par une crise qui ne concerne pas uniquement les marchés financiers, cet album sonne comme un avertissement : la mauvaise personne, au mauvais endroit, et au mauvais moment peuvent mener au pire. Ce livre, conçu il y a maintenant quarante ans, de l’autre côté du globe, le rappelle très clairement, et avec talent.
Les avis
Erik67
Le 07/01/2022 à 08:01:10
Il s'agit sans doute du meilleur ouvrage sous forme de BD que j'ai pu lire s'agissant de la biographie du pire dictateur de tous les temps à savoir Hitler. En effet, ce vagabond, artiste bohème et caporal antisémite a plongé le monde dans un bain de sang faisant des millions de victimes. Pour l'instant, il n'y a pas eu pire bilan.
Le portrait que l'auteur dresse ne sera pas forcément flatteur mais il est sans doute parfois trop dirigé au point de se demander si celui qui est devenu le führer de l'Allemagne était vraiment un génie du mal ou simplement un homme ordinaire et médiocre ?
On découvrira également sa vie privée et comment il a mené au suicide mystérieux de sa nièce dont il était tombé amoureux en 1931. On verra également qu'il était jaloux de son seul ami plus brillant que lui au niveau des études.
Bref, c'était vraiment un sale type mais qui avait un talent oratoire hors norme. Certains se sont laissé avoir par ses discours haineux recherchant un bouc émissaire aux difficultés économiques d'une Allemagne sortant péniblement de la Première Guerre Mondiale.
Je n'avais pas eu conscience de lire un manga qui est pourtant daté de 1971 soit il y a près de 50 ans. J'ai été surpris car je n'ai pas du tout senti le poids des années. Cela reste une lecture intemporelle qui est nécessaire aux jeunes générations pour ne pas céder encore à des politiciens dangereux pouvant nous entraîner dans une nouvelle guerre plus meurtrière encore.
Pour la petite histoire, le mangaka Shigeru Mizuki voulait faire découvrir à son peuple qui était celui qui a entraîné le monde dans la guerre. L'auteur a d'ailleurs perdu son bras lors de ce conflit ce qui n'est pas anodin. Il réalise en tous les cas un précieux récit historique réalisé 25 ans après la fin de cette guerre.
Ce titre était pour moi un loupé dans le fait que parmi les 6350 titres que j'ai lu, j'étais totalement passé à côté. Par cette lecture, j'ai comblé cette lacune. C'est vraiment une œuvre à lire de par son sujet et sa portée.
sulli
Le 27/02/2012 à 10:37:35
Comment Hitler en est-il arrivé là ? L’auteur de cette BD s’attache à répondre à cette inquiétante question dans une biographie factuelle et documentée (dessins basés sur des photos d’archives, notes explicatives). Il ne tente pas d’expliquer l’inexplicable, ni de comprendre l’incompréhensible mais juste dire, faire savoir l’effrayant cheminement d’un homme qui fût élève moqué, artiste-peintre raté, vagabond, déserteur puis militaire décoré, avant de devenir ce monstre destructeur
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http://bdsulli.wordpress.com/2012/02/10/hitler/