C
inquième volet (volée ?) de gags signés Clarke et retour en Absurdie par la même occasion.
Est-il utile de présenter Les histoires à lunettes ? Sans doute pour quelques jeunes lecteurs ou autres étourdis qui ne se souviennent pas que, quand Clarke et Midam ont lancé Durant l’exposition, les travaux continuent dans Spirou, l’hebdomadaire, ils étaient parmi ceux qui ont cru voir un OVNI atterrir au milieu des pages de la vénérable institution.
Derrière ce titre qui sortait des sentiers battus (pour une fois, pas un nom de personnage), se révélait un humour burlesque, décalé, « adulte », qui souvent se déguste froid, qui invite à quelques relectures successives et immédiates, histoire de voir si on n'a rien laissé en route. Ou pour le faire rouler en bouche, l’équivalent d’une deuxième rasade au goût de « reviens-y, c’est c.. mais c’est bon ». Un humour pince sans rire, loin de la parade et des artifices comiques habituels, qui parfois prend des libertés avec le principe de la chute qui claque à l’occasion de la dernière case. Là, la substantifique moelle, c’est souvent plus tôt qu’on l’a goûtée, en se réjouissant de voir de quelle manière le décor est planté, la situation installée, plus encore qu’en en découvrant l’issue. C’est ce qui fait encore la force des planches les plus réussies de ce cinquième volet.
Ça ne vous dit toujours rien ? Tant pis pour vous. Même si, avec un sens de la charité qui lui appartient, Clarke offre un retour sur images (mais surtout en textes) partiel placé en fin d’album, comme pour donner un aperçu de la genèse et de la dimension « culte » prise par cette petite entreprise. A charge pour le lecteur de s’armer d’un puissant décapeur pour faire surgir l’information, la vraie, sous une épaisse couche de déconnade, ou de tester ses capacités d’historien s’attaquant à déceler le vrai du faux dans un mythe. Un vrai bonus, mais qui aurait gagné à être plus concis, même si l’essentiel n’est, évidemment, pas là.
Ces Histoires à lunettes, c’est aussi la mise à l’honneur du gag de répétition, de la variation sur le même thème, et Le monde est flou signé par le seul Clarke ne déroge pas à la règle. Duo d’inventeurs façon Yin / Yang, troupe d’explorateurs perdus dans la jungle, naufragés tirant sur leur survie à la courte paille ou encore célèbres amnésiques qui confient leur avenir (tout du moins leur journée du lendemain) à un dictaphone, toutes ces mésaventures sont déclinées à plusieurs reprises sous un œil goguenard et s’appuient sur la connivence du lecteur, qu’il ait chaussé ses lunettes ou non.
Ah oui, les p’tits nouveaux, on ne vous a pas dit. Histoires à lunettes parce que les personnages en portent tous. L’artifice est plus qu'une coquetterie : il est devenu une marque de fabrique. Tout comme cette façon de jouer sur le statisme des scènes. L’angle de vue bouge bien un peu, par moments, le plan s’élargit pour laisser place à un détail supplémentaire, et les personnages peuvent également se déplacer. Mais là aussi, c’est le jeu répété avec une contrainte qui agit comme un ressort, suscitant la complicité quand d’autres ne réussissent qu’à engendrer la lassitude.
Ce qui fera moins rire les amateurs de la première heure, c’est le constat qu’ils ne manqueront pas de faire au moment d’insérer ce nouvel album dans leur très chère bibliothèque. Format différent, nouveau style de couverture, bref la routine pour le fidèle acheteur. Qu’il se rassure, le 5 juin, il aura la possibilité de se procurer les volumes précédents, réédités, pour en finir avec l’infâmante anomalie esthétique. Avec dans le lot un 4ème volet, Le miracle de la vie, qui s’invite dans la ronde sans qu’on ait soupçonné au moment de sa première sortie, en 2004, qu’il y avait une réelle filiation entre celui-ci et ses prédécesseurs. Enfin, si on nous le dit… «Un dossier de 2 pages [figurera] dans chaque album ». 2 pages ? C’est pas donné à tout le monde de faire rire. Chacun son métier.