Résumé: Qu'est-ce qui poussa Akihito à devenir le premier empereur japonais à démissionner de sa fonction ? La difficulté de succéder à Hirohito, l'empereur qui a mené le pays à la guerre puis à la défaite, la haine d'une partie du peuple qui reniera le pouvoir du trône du chrysanthème, les concessions et humiliations pour desserrer le blocus des occidentaux et relever son pays, le poids des traditions et des protocoles ?
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Qu'est-ce qu'un empereur symbolique ? Il n'a ni nom de famille, ni acte de naissance, ni liberté de choisir son métier ou de se déplacer." Cette interrogation est prêtée à l’empereur, figure iconique et respectée du Japon, par les deux auteurs de ce manga et elle est le leitmotiv de ce one-shot publié par Vega-Dupuis.
Cette biographie graphique est celle d'Akihito. Fils d'Hirohito,il a abdiqué formellement le 30 avril 2019, après avoir évoqué à mots couverts ses ennuis de santé, plusieurs semaines auparavant. Cela a mis fin à l'ère Heisei. Dans la périodisation nippone, chaque tenno marque une ère de temps dont le nom est choisi dans des passages des Classiques chinois dont les Mémoires historiques. Le nom renvoie à une volonté de qualifier le règne à venir. Ainsi, Heisei peut être traduit par "accomplissement de la paix" à la fois à l'intérieur de l'archipel comme à l'extérieur. Cet empereur a traversé une période de prospérité puis de crises (crise économique, Fukushima...) tout en œuvrant à rapprocher son personnage du peuple. L'autre fait pour lequel il est connu et parfois apprécié, c'est qu'il est le premier à tenter de réconcilier le Japon et son passé dès le début de son règne. Il s'exprime plusieurs fois à l'égard des pays victimes de la violence japonaise de la Seconde Guerre mondiale, alors que son statut et la Constitution l'interdisent.
Ce chef a voulu dépasser le symbole de sa fonction. C'est cela qui ressort de la lecture de ce manga.
L'histoire est d'Issei Eifuku. Ce mangaka, diplômé des Beaux-Arts mais aussi moine bouddhiste, a fait ses armes sur Amer Béton de Taiyo Matsumoto. Une partie de son travail a été lue par les otaku français comme Le samouraï de bambou et Evil Eater. Depuis 2009, il travaille comme scénariste sur des mangas historiques tels qu' Empereur du Japon. D'ailleurs, il est le seul scénariste avec qui Matsumoto-sama souhaite travailler et depuis mai 2020, ils officient tous les deux sur Mukashi no Hanashi (titre encore inédit dans l'espace francophone). Son style de narration d'une lenteur poétique colle bien au récit biographique. Loin d'être hagiographique, il se base sur du factuel tout en allant chercher l'homme qui est derrière la fonction politique. Cela donne un récit d'une grande justesse qui évite la lourdeur de la biographie classique.
Les dessins sont signés Usamaru Furuya, un auteur atypique et éclectique connu en France pour un bon nombre des ses travaux (Palipoli, Tokyo Magnitude 8, Je voudrais être tué par une lycéenne...). D'ailleurs, les publications parvenues en Europe témoignent de son côté touche-à-tout. Lui aussi est issu des Beaux-Arts où il travailla sur la peinture à l'huile, puis la sculpture, le théâtre, la danse et l'expression corporelle. Puis, en 1994, il se lance dans le manga sans rien y connaître ! Son style nourri des ses expériences artistiques lui ouvre les portes du légendaire magazine Garo. Cet artiste unique est capable d'illustrer du drame social, après avoir versé dans le gag absurde violent et pop hyper référencé. Alors pourquoi pas se frotter au récit historique ?
Ce duo improbable d'auteurs fonctionne sur ce titre ! La narration qui remonte le temps pour suivre la jeunesse puis les différentes étapes allant jusqu'à la prise de fonction d'Akihito est admirablement servie par le trait de Furuya, qui apporte une certaine douceur voire de la nostalgie dans certaines planches. Des passages peuvent paraitre anecdotiques, comme son séjour en Grande-Bretagne pour le couronnement de la reine Élisabeth II (dont il est un ami), mais ils permettent de discerner l'homme derrière la fonction et les influences qui l'ont construit. Sa volonté d'évoquer et de reconnaitre les atrocités de l'armée japonaise durant le dernier conflit mondial sont montrées, y compris l'attaque au cocktail Molotov d'un activiste lors d'un déplacement à Okinawa en 1975. Enfin, importance du couple qu'il forme avec Michiko est aussi fort présente dans ce titre.
Un manga historique passionnant sur un personnage très peu connu en France mais qui a accompagné les Japonais sur soixante-sept ans (trente-sept ans en tant que prince, trente en tant que Tenno). Une biographie romancée, qui sonne juste, car basée sur du factuel et sur le côté humain de la personne. Ce manga peut constituer une belle porte d'entrée pour se familiariser avec le fonctionnement de la monarchie parlementaire japonaise en plus de découvrir la vie du désormais Jōkō (empereur retiré).