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Tu es née en Grèce. Un accident à la fin d’un voyage. » C’est à peu près tout ce que savait Séverine de sa naissance. Plutôt vague et lacunaire, surtout que les « grands » se laissaient aller à quelques remarques sibyllines pour la fillette quand le sujet était abordé au détour d’un repas de famille. Maintenant adulte, cette dernière veut vraiment en savoir plus sur ses origines. Sommée de s’expliquer, Viviane, sa mère lui avoue les circonstances de son accouchement dans une prison grecque alors qu’elle purgeait une peine pour trafic de drogue ! Pourquoi ? Comment ? Et quid de son père et de sa grande sœur ? Entre trous de mémoire et témoignages contradictoires des amis de l’époque, c’est un véritable roman d’aventure mélangeant contre-culture, hippies et haschisch que découvre la jeune femme.
Espièglement sous-titrée Autobiographie prénatale, Hippie Trail revient sur le mouvement qui a vu de nombreuses personnes s’attaquer à la route des Indes durant les années soixante-dix. En effet, déçus de mai 68 ou simplement apprentis-aventuriers voulant changer radicalement d’air dans une société qui peinait à se réinventer pour de bon, ils ont été nombreux à s’embarquer sur les traces de Nicolas Bouvier. Après une enquête de plus dix ans, Séverine Laliberté a enfin rassemblé tous les éléments qui ont conduit sa mère dans une geôle du côté d’Athènes au moment de la dictature des Colonels. Résultat, un pavé de plus de deux cents pages mêlant vie privée, travelogue, un peu d’histoire générale et d’innombrables anecdotes s’égrenant entre Paris et Kaboul. L’album est imposant, très riche et souvent touchant (la dernière partie retraçant l’incarcération de Viviane tout particulièrement). Par contre, cette profusion d’informations, digne du Guide Bleu ou de celui du Routard, d'un intérêt variable finit par étouffer le pan plus intimiste du récit.
Noir & blanc bien posé, avec quelques touches de couleurs ici ou là afin de souligner un paysage saisissant, le trait d’Elléa Bird s’avère parfaitement adapté pour dépeindre cette expédition au long cours (traverser la moitié de l’Europe et une bonne partie de l’Asie en Renault 4L, ça prend du temps). Les personnages – hirsutes évidemment – sont également bien représentés et reconnaissables. Les transitions entre les époques – l’autrice discutant avec sa mère et les réminiscences de celle-ci – sont habilement menées. En une demi-case, le lecteur est précipité quelque part en Anatolie à moins qu’il ne soit déjà arrivé du côté de Bâmiyân et ses Bouddha géants. Dommage que les interludes didactiques viennent briser le rythme de cette errance entre Orient et Occident.
Malgré une tendance malheureuse à vouloir mélanger les genres à tout prix, Hippie Trail est une lecture agréable et dépaysante doublée d’une émouvante et sincère quête sur ses origines.