Résumé: Sophie Darcq est à la fois une inconnue, puisque Hanbok est son premier livre, et quelqu'un qu'on ne présente plus dans le milieu de l'édition alternative ou dans la petite communauté d'autrices et d'auteurs d'Angoulême, où son talent est reconnu depuis longtemps. Née Coréenne en 1976, française d'adoption, Sophie Darcq est diplômée de l'EESI et a été résidente à la Maison des Auteurs d'Angoulême, avant de décider de partir en Corée sur les traces de sa famille biologique, avec l'une de ses quatre soeurs. C'est cette histoire que raconte Hanbok, récit familial poignant, entre l'exorcisme et la nécessité de connaître ses racines. Commencé il y a une quinzaine d'années, Ce premier tome de Hanbok (sur deux prévus) se démarque du flux de bandes dessinées autobiographique actuel par le profond besoin de vérité qu'on y trouve et par le brio du dessin. Passant avec désinvolture d'un style réaliste époustouflant à une grammaire minimaliste, d'un registre épistolaire à une narration historique, Sophie Darcq maîtrise son sujet et le langage de la bande dessinée comme peu d'autrices publiant leur premier livre.
C
alée dans le siège d’un avion, Sophie cherche un sommeil qui ne vient pas. Trop de pensées l’assaillent. Elle ne sait presque rien de la Corée du Sud, ce pays qu’elle a quitté à quatre ans pour devenir, avec ses sœurs, la fille d’un couple de Français. Elle n’a aucun souvenir non plus de sa famille biologique. Accompagnée de Virginie qui a déjà fait le voyage précédemment, elle s’immerge pour découvrir ses racines, d’abord ballotée d’un site à l’autre avec un groupe d’autres adoptés coréens, puis en rencontrant ces inconnus : tantes, oncles, cousins, génitrice…
Ancienne résidente de la Maison des Auteurs d’Angoulême, Sophie Darcq met, depuis, son talent au service de plusieurs revues. Suite au voyage qu’elle a effectué en Corée du sud, en 2004, pour retrouver ses origines, elle a entamé l’élaboration d’un récit autobiographique, annoncé en deux tomes : Hanbok, publié aux éditions L'Apocalypse. Ce titre se réfère, évidemment, à la robe traditionnelle des femmes coréennes, mais symbolise également un élément important de l’histoire personnelle de l’autrice.
Assez linéaire, la narration du séjour au pays du matin calme occupe la majeure partie de l’album. Elle est ponctuée par des intermèdes sous forme de lettres destinées à une amie, Djouhyonn. Ces épisodes reviennent sur l’adoption, les premiers pas en France, quelques souvenirs d’enfance, ou encore la formation artistique de Sophie Darcq ; ils révèlent également les questionnements de cette dernière sur sa famille de sang, notamment sur la femme qui l’a mise au monde. Ces interrogations percent à de nombreux moments pendant le voyage, témoignant avec authenticité des craintes ressenties – à qui ressemble-t-elle -, de la gêne qui s’installe durant les échanges laborieux – du fait de la barrière linguistique - avec cette parentèle qu’elle ne connait pas. L’artiste porte également un regard acéré sur ces rassemblements d’adoptés, entraînés de visites et d’activités en soirées, selon un tempo bien réglé et dans un cadre plus chic que les auberges ou petits hôtels dans lesquels elle et sa frangine descendent.
La partie graphique, en noir et blanc, alterne des illustrations réalistes – notamment des portraits à partir de photographies - avec un style expressif plus ou moins lâché qui devient presque caricatural dans les passages épistolaires, dénotant d’une agréable vivacité. De même, la composition des planches joue sur les cadrages, s’affranchit çà et là des contours de case, inclut quelques pleines pages et inserts. Par ailleurs, bien que le dessin se focalise sur les protagonistes, des paysages soignés viennent agrémenter le propos et témoigner de la beauté des lieux visités.
Roman graphique autour de l’identité et de la quête des origines, Hanbok immerge avec justesse au cœur du périple intime de son autrice. Une belle découverte.
Les avis
Zablo
Le 21/05/2024 à 22:56:32
Je dois dire que je n’ai pas trouvé cette BD géniale...
Alors oui, son sujet est touchant, racontant l’histoire de l’adoption de l’autrice, Sophie Darcq, partie de la Corée pour la France à 4 ans... Où plutôt, je rembobine, celle-ci narre le voyage mémoriel qu’elle a entrepris, vers sa famille biologique, à la fois spatial et temporel, pour retrouver ses origines, et des bribes de souvenirs.
Mais, contrairement à ce que laisse entendre Fabrice Neaud en préface, je ne trouve pas que le sujet de l’adoption soit un thème sous-exploité en BD. Il y a pléthore de fictions où le héros est adopté (Superman et d’autres super-héros, les héros de Van Hamme comme XIII et surtout Largo Winch, Pinoko dans Blackjack, Monster d’Urasawa...) et plusieurs BD en ont déjà fait leur « sujet » par le passé : la série L’adoption par exemple, ou Yuan : journal d’une adoption de Marie Jaffredo, et surtout Couleur de peau : miel (publié à partir de 2007) de Jung (lui aussi originaire de Corée) ainsi que d’autres de ses livres...
Néanmoins, il est vrai que cette néo-autrice amène un regard différent sur l’adoption, en l’associant notamment avec la notion de sororité. Car, elles sont en effet 5 sœurs : c’est-à-dire elle, Sophie, ses trois sœurs d’origine coréenne et l’aînée d’origine française, adoptées également (on les voit sur la couverture, toutes avec leurs hanboks, vêtements traditionnels coréens). J’aurais d’ailleurs aimé que Sophie Darcq développe encore plus cet aspect, qui m'intéressait tout particulièrement et mériterait d’être approfondi en BD, d’être exploité autrement que ne l’ont fait Cazenove ou Vivès par exemple... Une idée pour un autre album.
D’ailleurs, j’aime beaucoup ces personnages sans visages, que l’on retrouve sur la couverture et dont l’identité se précise, au fur et à mesure du récit.
Pourtant, je n’ai pas été emporté immédiatement par les dessins noirs et blancs de Sophie Darcq.
L’esthétisme de cette œuvre évolue dans un doux et mélancolique chaos : entre le style rapide et lâché des carnets de voyage, le manga caricatural (intermèdes qui, je dois l’avouer, m’ont parfois gâché le plaisir de lecture), ou encore la précision de certains croquis, inspirés de photographies retrouvées au compte-goutte
Ce style, composite, allie des éléments que j’avais déjà vus chez d’autres auteurs, dont ceux qui l’ont aidés dans son travail : je pense immédiatement à Fabrice Neaud (dont la précision du dessin est connue) et aux auteurs d’Ego comme X (le nom est suffisamment éloquent...), à l’éditeur Jean-Christophe Menu de l’Association (autodidacte et anticonformiste), ou même au compagnon de l’autrice, Matthias Lehmann (au style parfois très cartoon), qui a lui même sorti un ouvrage à teneur autobiographique en 2023... tous deux sélectionnés au Festival de BD d’Angoulême. Il y a comme un écho...
Malgré la sensibilité narrative et artistique de cette œuvre, je dois donc admettre qu'elle ne me marquera probablement pas durablement.
Mais, je suis tout de même tombé des nues, parce que pour un premier roman graphique, il y a quelque chose d'extraordinairement attachant.