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arcel embauche ce matin à la mine. Ce n'est pas qu'il soit spécialement attiré par ce métier, mais fils et petit-fils de mineur, il n'a pas vraiment le choix. En fait, secrètement, il a déjà pris sa décision : il va monter à Paris un de ces jours, et tant pis si la belle Suzanne ne veut pas l'accompagner !
Après un premier galop d'essai, Last bullets publié dans la collection Kstr, Antoine Ozanam et Lelis s'associent à nouveau pour Gueule noire. Ce sombre conte entraîne le lecteur dans la France du début du XXe siècle, des terrils du Nord à la capitale. Très marqué par un discours gauchissant, voir anarchisant, le scénario suit la destinée de Marcel, un ouvrier en colère face à une société qui ne semble lui laisser comme seul choix que de crever à la tâche dans un boyau mal aéré. La narration, un peu trop linéaire sur la longueur, s'avère néanmoins particulièrement bien écrite et pleine de petits détails percutants (les deux chansons d'époque que marmonne le héros, par exemple). Le résultat est un portrait réaliste et confondant de la classe ouvrière que n'aurait pas renié Émile Zola. La comparaison est évidemment osée, mais l'approche méticuleuse et ultra-documentée du scénariste n'a vraiment pas à rougir face au naturalisme de l'auteur de Germinal.
En abandonnant la couleur, mais toujours en se passant d'encrage, Lelis permet à son trait de prendre littéralement vie. Cette technique, dont le rendu fait penser à celui de l'eau-forte, colle extrêmement bien avec le ton de l'histoire : presque lugubre quand il le faut, mais toujours vibrant d'une énergie plus que palpable. Le dessinateur ne fait pas dans le beau (voir les allures quasi grotesques de certains personnages), mais dans le vrai. Les articulations craquent sous les charges et, à la fin de la journée, les Picon bières rafraîchissent les gosiers, tout en tentant de faire oublier, pour un court instant, la misère.
Mi-fable initiatique, mi-brûlot sur fond social, Gueule noire impressionne, particulièrement grâce aux saisissantes compositions de Lelis.
Les avis
Erik67
Le 09/11/2020 à 10:46:28
Qu'est-ce qu'elle a ma gueule ? Elle est simplement toute noire !
En règle générale, je n'aime pas vraiment les scénarios de Ozanam pour avoir expérimenté une bonne partie de ses oeuvres. Celle-ci fera exception bien que l'idée de l'intrigue soit toute simple et qu'on aura l'impression à la fin de tourner en rond. Je pense bien que c'était le but recherché.
Par ailleurs, le dessin en noir et blanc fait très brouillon avec des traits qui ne sont pas assumés et presque sous une forme d'esquisse. Pourtant, là encore, cela produit un bel effet. C'est plutôt vif et cela traduit bien le quotidien.
En synthèse, cette oeuvre n'avait rien pour me plaire et pourtant, il s'est passé quelque chose à la lecture. J'ai suivi jusqu'au bout et sans peine. Il faut dire que le sujet m'inspirait à savoir un jeune désoeuvré qui tente de sortir de sa misérable condition sociale. Il y en a qui arrive et c'est le conte de fée. Mais pour combien qui échouent ? Cela explique beaucoup de choses sur ce qui ne va pas dans une société capitaliste. Cette chronique du début du XXème siècle est plutôt réussi.
A lire de préférence en mettant du Pierre Bachelet en arrière-fond notamment les corons.