Info édition : Dossier de 8 pages en fin d'album retraçant la biographie du peintre.
Résumé: L’espoir nourrit le désespoir
Début 1819, Francisco de Goya, atteint de surdité, emménage dans une nouvelle propriété, la Quinta Del Sordo, en compagnie de l’un de ses modèles, Leocadia Weiss, et de sa fille, Rosario. Au premier abord terrifiée par le vieux peintre et la noirceur de ses tableaux, la jeune fille demeure fascinée par sa capacité à engendrer des univers entiers à la seule force de ses pinceaux. De son côté, Goya s’émerveille de la vitalité de l’enfant qui lui permet de surmonter sa solitude et sa mélancolie. Une véritable complicité s’installe entre ces deux êtres que tout oppose… Mais, peu à peu, Rosario s’étiole, se dessèche. Goya la croit alors atteinte du désespoir qui le ronge. Il s’accuse de l’avoir contaminée. Le tableau Saturne dévorant l’un de ses enfants est peint sous cette influence...
L
orsqu’il choisit d’emménager dans sa nouvelle demeure, déjà appelée la Quinta del Sordo (Villa de l'homme sourd) avant son arrivée, Goya est un septuagénaire acariâtre, atteint par une déficience auditive et éprouvé par la maladie. La compagnie de l’une de ses modèles et de sa fille pleine de vie ne lui fait pas rompre avec son aspect taciturne et outrageusement sévère. Cette humeur finira par déteindre sur son environnement, certains murs de la bâtisse abandonnant leurs couleurs pour devenir le théâtre des « peintures noires », dont Saturne dévorant un de ses fils fait partie…
L’album signé par Olivier Bleys et Benjamin Bozonnet (Pilori chez Eliytis en 2010) paraît au sein du trio inaugural de la nouvelle collection Les grands peintres proposée par Glénat (une dizaine d’albums programmés par an). Autour d’une œuvre, un récit, plus ou moins nourri de faits réels, offre un éclairage sur l’empreinte laissée par un tableau et des techniques, mais aussi sur ces créateurs de génie, sur ces personnalités hors du commun qui ont enrichi l’Art pictural.
En tant qu’homme, le Goya décrit dans ces pages ne suscite pas l’empathie, les auteurs ne lui réservant pas un portrait, tant physique que psychologique, qui inviterait à se sentir en phase avec son comportement. Le sort qu’il réserve à son entourage, le peu de soin qu’il s’accorde, son mutisme qui ne laisse place qu’aux reproches et autres invectives ne peuvent pas être occultés par les souffrances qui semblent accabler l’homme usé. L’ambiguïté des rapports qu’il entretient avec les deux femmes les plus proches de lui, mère et fille, ne redore pas son blason : il ne réprime pas sa jalousie lorsque la jolie femme le provoque en invitant un étranger à leur table ; il s'efforce de ne pas se réjouir face à la pétillance de la fillette, la maintenant à froide distance et témoignant d’une agressivité à son encontre proche du châtiment lorsqu’elle cherche à se rapprocher de lui.
Comme si la colère pouvait être une muse, comme si l’investissement corps et âme dans la création devenait un exutoire, le peintre se jette, littéralement, physiquement, dans la création de fresques sombres, parfois peuplées de créatures monstrueuses ou diaboliques, souvent habitées par la violence, où des personnages marqués par le temps deviennent des proies à portée de main pour une Mort qu’on devine rôder alentours. La petite Rosario flétrit ; Goya, miné par ses tourments et sa déchéance, s’en attribue la responsabilité : l’a-t-il « dévorée » comme Saturne a dévoré un de ses fils ?
L’évocation de cet épisode atteint une forme de sobriété qui correspond au sujet : il aurait été en effet malvenu de se montrer davantage verbeux pour évoquer un individu fréquemment enfermé dans un lourd silence. Ce choix n’en rend que plus tonitruants ses éclats de voix ou les manifestations pétillantes de l’insouciance juvénile. Celui consistant à adopter une rupture de forme pour les scènes de la vie quotidienne est lui aussi pertinent, tout comme le fait de laisser l’histoire vivre pleinement sans être étouffée par une dimension didactique – objet du cahier qui clôt chaque album de la collection – ou par l’incrustation de répliques d’œuvres originales. La conclusion, contrastant avec la débauche de noirceur et le tumulte qui précèdent, offre ce qu’il faut pour laisser l’esprit du lecteur se répandre en hypothèses, peu pressé de connaître la vérité historique…
Les avis
Erik67
Le 04/09/2020 à 15:07:19
Goya n'était pas un homme particulièrement sympathique. Il n'a pas hésité à tuer le chien de sa nièce qui aboyait un peu trop en le noyant dans le puits de la belle résidence familiale. Bref, une ordure de la pire espèce dont on admire aujourd'hui les tableaux à travers le monde en louant son art et son génie. Je n'ai que mépris pour cet assassin d'animaux et ses tableaux ne m'intéressent guère. Tout n'est que violence et vanité.
Voilà, le cadre étant fixé, on suit la tranche de vie la plus obscure de ce peintre qui dessinera le fameux Saturne dévorant ses fils. Les peintures noires s'arrachent partout dans le monde car elles font figure de précurseur du romantisme. Il est clair que l'humeur de cet artiste avait une influence considérable sur ses oeuvres.
La bd joue d'ailleurs sur une variation de couleur assez sombres. Elle ne se concentre pas tellement sur les techniques de peinture mais nous montre l'homme tel qu'il l'était. Visiblement, la colère était sa muse.
Si on fait abstraction du monstre, c'est une oeuvre à découvrir pour connaître le premier des artistes engagés. Un album néanmoins très sombre et sans concession.
ElephantRouge
Le 07/04/2016 à 16:08:46
L'idée d'éviter une biographie forcément lacunaire du peintre en focalisant l'intrigue à un moment clef de son oeuvre et de sa vie est excellente, elle permet d'approcher l'essence même du travail de Goya et de sa personnalité ombrageuse.
Les dessins de Bozonnet, tourmentés, rendent bien compte des démons intérieurs de ce peintre. Une lecture très agréable.