Résumé: " Mais… Manel Naher, c'est moi !"
Qui est donc cette autre Manel Naher, qui fait la Une des journaux ? Elle fait de l’ombre à Manel Naher, la vraie Manel Naher, l'héroïne de cette histoire !
Elle ne se rend pas compte qu’elle la met en danger, la vraie Manel Naher, en ayant tout ce succès ? Vous comprenez, si tout le monde se met à penser à cette Manel Naher qui devient célèbre, au lieu de penser à Manel Naher, qui passe ses journées au fond d'une petite librairie… eh bien : on risque de l’oublier, notre Manel. Et dans ce monde, si l’on ne pense plus à vous, alors vous mourrez, tout simplement.
Penser à quelqu'un, c'est lui donner de la Présence. L'horizon, ici, est barré par les milliers de noms qui s'affichent de toutes parts, et les mendiants ne quémandent qu'une seconde d'attention… Survivre pour certains, devenir Immortel pour d'autres : c'est la Présence qui fait tourner cette ville tentaculaire. Manel, elle, tournerait volontiers le dos à tout ça ; mais là-bas, au delà des grattes-ciel, il n'y a que le Grand Vide, d'où personne n'est jamais revenu…
Léa Murawiec met ici son dessin virtuose au service d'un récit riche et lumineux, au rythme bouillonnant. Son talent et sa maîtrise illuminent ce premier livre enthousiasmant, et on se laisse avec bonheur emporter dans ce Grand Vide !
P
arfois, un livre arrive précédé d'une réputation très flatteuse. Quand il s'agit en plus d'une première œuvre, la curiosité est immédiatement titillée. Léa Murawiec débarque d'un peu nulle part avec un ouvrage ambitieux, bel objet qui conjugue identité visuelle originale et thématique forte. Est-ce un effet de mode ou la naissance d'une grande autrice ?
Le récit transporte lecteur dans une ville tentaculaire, tout en verticalité. Dans ces décors vertigineux, des noms à perte de vue s'affichent aux façades, brillent comme des publicités sur Times Square. Ils sont essentiels parce qu'ils assurent le Présence de ceux qui les portent. Sans cette dernière, c'est l'existence même de l'individu qui est menacée. Si personne ne pense à vous, si l'oubli vous guette, c'est la disparition assurée. À l'inverse, les portes de l'immortalité s'offrent à vous.
Manel Naher n'a que faire de tout ça. Elle mène sa vie sans se soucier des autres. Elle a un projet : partir explorer le Grand Vide qui s'étend hors des zones urbaines. Personne ne sait ce qui s'y trouve. Il court même des bruits alarmants à son sujet. Mais ce n'est pas ici, et c'est suffisant pour donner envier à la jeune femme de tenter l'aventure. Malheureusement, un hasard malheureux lui a imposé un homonyme encombrant, vedette de la chanson. La chanteuse accapare donc toute l'attention, ne laissant que des miettes à notre héroïne qui, en manque de Présence, risque la mort. Elle est forcée de changer ses plans, quitte à se perdre en chemin.
Si les réseaux sociaux, avec leur cortège de like et de followers, viennent directement à l'esprit, le propos est beaucoup plus large et évoque plutôt le besoin d'exister, comme déjà théorisé avec les quinze minutes d'Andy Warhol. C'est le rapport compliqué aux autres, l'affirmation de soi face à la masse informe du reste de la population, la recherche d'individualité dans la collectivité, la peur de se perdre, d'être moins que zéro tout seul ou n'être pas grand-chose dans un groupe qu'explore cette histoire. Pour traduire cette relation complexe de l'individu face à la masse, Léa Murawiec opte pour un style très expressif, faisant de Manel une silhouette en mouvement perpétuel, occupant l'espace de gestes amples, débordant de l'espace qui lui est assigné face à des blocs presque indifférenciés de foule ou des personnages qui semblent confinés, comme enfermés dans des boîtes. Tout dans la mise en page est également pensé pour créer une impression de vertige, comme si la principale protagoniste se trouvait au bord d'un gouffre... ce grand vide qu'elle rêve d'explorer et redoute pourtant.
Est-ce que l'enthousiasme des éditions 2024 et de quelques critiques pour Le Grand Vide est justifié ? S'agit-il de l'un des albums de l'année ? Ce n'est pas impossible. Entre forme bluffante et fond lourd de sens, cette première bande dessinée impressionne par sa maturité. Léa Murawiec s'impose d'entrée comme une signature à suivre.
La preview
Les avis
Flemeth
Le 04/12/2023 à 18:28:23
J'ai subi ce livre. Le dessin est à la fois totalement maîtrisé et totalement illisible. Le postulat de départ est intriguant mais je me suis lassée dès les premières pages, avec ce personnage très antipathique au final, qui n'hésite pas à frapper ou insulter ses proches. Rien ne m'a plu, ni le rythme, ni l'histoire, ni l'épilogue. Une purge.
Eric DEMAISON
Le 05/04/2022 à 21:23:22
Album à nul autre pareil. Léa Murawiec nous entraîne réellement dans un univers et dans un mode de narration très originaux. Une réflexion sur l'existence, sur la permanence, le souvenir, mais aussi l'égoïsme, le chacun pour soi.
Livre à lire qui épuise un peu son lecteur par le rythme effréné de l'histoire et de l'enchaînement des cases et des pages. A lire plusieurs fois pour vraiment saisir tout le propos.
Le dessin est très expressif que ce soit pour les personnages mais aussi pour les décors (ville).
Autrice de talent.
Vivement le prochain livre
Bert74
Le 22/09/2021 à 11:05:28
Quelques mots sur cette BD de Léa Murawiec que j'ai vraiment bien aimée.
Au sein d'une ville futuriste et imaginaire, dont les habitants sont convaincus que rien n'existe en dehors (ce fameux Grand Vide), vous ne pouvez littéralement exister que si on vous connait et si on pense à vous. La survie de tout un chacun est ainsi conditionnée à sa Présence, bien (pour le moins immatériel) le plus précieux de tous. Jusqu'à produire de véritables immortels en récompense des plus grandes célébrités.
La jeune héroïne, Manel Naher, se tient plutôt à distance raisonnable de cet état de fait, préférant rêver à son projet de découvrir ce que cache vraiment ce Grand Vide. Jusqu'au jour où sa vie est tout à coup sérieusement mise en danger par l'avènement d'une autre Manel Naher, chanteuse à succès, qui accapare toute la Présence (dans l'esprit des habitants) disponible.
Métaphore évidente d'un certain mal sociétal très actuel, cette histoire est racontée avec beaucoup de talent par la toute jeune autrice Léa Murawiec. Elle fait preuve d'énormément de maturité dans sa narration en exposant de manière très fluide et naturelle les règles de cette société, sans qu'on soit assommé par un discours critique pesant. Ce besoin de Présence parait ainsi évident pour le lecteur sans qu'il soit expliqué ou justifié par quelque inutile tirade que ce soit.
Son dessin très souple et dynamique est aussi en constant soutien du récit et nous propose en même temps un environnement graphique et visuel assez captivant. Accompagnant l'histoire, on voit ainsi apparaitre dans les cases des dizaines et des dizaines de noms aux typographies variées qui mettent en scène un décor étrange et fascinant.
Je ne sais pas où Léa Murawiec a pu aller chercher tout ça. A peine ai-je descellé un "Nicolas Sarkozy" au détour d'une case.
Même les ellipses, aussi soudaines qu'inattendues, utilisées pour la progression de l'histoire, passent très bien et permettent de mener l'album de bon train jusqu'à sa conclusion. Mon seul regret est pour celle-ci, à mon sens un peu en demi-teinte et téléphonée.
Et avec tout ça, une belle édition bien soignée à la quadrichromie très plaisante.
Bref une bien chouette BD qui vaut amplement le travail de commentaire que je viens de vous livrer et la Présence que je souhaite offrir à Léa Murawiec (quatre fois que je la cite, j'espère que ça suffira... Allez, je vais de ce pas m'inscrire à son Insta).
En tout cas, une autrice à suivre, comme on dit dans nos villes (et nos campagnes ?).