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ussi loin qu'elle se souvienne, Emmi Valve a toujours ressenti ce vide intérieur, ce creux en elle la ronge inlassablement. Elle s'y abîme, incapable de s'intégrer aux jeux des autres enfants. Une fois adulte, elle n'arrive pas développer des liens durables. De tous les professionnels qu'elle croise, aucun n'arrive à diagnostiquer les causes de sa souffrance.
Dans cette autobiographie crue et brutale, l'autrice finlandaise Emmi Valve décrit méthodiquement le mal qui la dévore, mettant des mots et des images sur la dégradation de son état physique et mental. Avec un subtil mélange de pudeur et honnêteté, elle expose son isolement et ses stratégies dérisoires pour tenter de faire face, comme les listes de plus en plus absurdes qu'elle dressait. Elle parle de ses relations aux autres, de l'impact mortifère de ses crises sur toute tentative de construire un semblant de vie sociale... jusqu'au passage en hôpital psychiatrique, qui lui permettra d'enfin identifier les racines de sa pathologie et, à défaut de guérison, lui donnera les moyens d'envisager de vivre malgré la dépression, de composer avec elle.
La maladie mentale reste un sujet extrêmement délicat à aborder, quel que soit le média. Il ne souffre ni complaisance, ni édulcoration. Trouver le juste équilibre est complexe. L'approche d'Emmi Valve frappe par sa lucidité, loin des planches surchargées et torturées qui sont légion dans le genre. Au contraire, si elle représente l'angoisse avec beaucoup de force, elle le fait avec une certaine retenue. Si elle n'occulte rien de ses démons, elle ne se limite pas à en dresser un inventaire sensationnaliste. Elle ne s'abaisse jamais à l'auto-apitoiement. Si certaines pages traduisent l'horreur pure, elles s'inscrivent toujours dans une démarche globalement combattive. Cette volonté trouve un écho particulier dans son graphisme. D'un abord classique, ce dernier reste très lisible et aéré, ce qui donne d'autant plus de puissance aux quelques escapades cauchemardesques qui émaillent le récit, comme l'évocation de certaines hallucinations particulièrement effrayantes. Une belle maîtrise des couleurs, qui évite les palettes sombres et cafardeuses, permet également au livre de conserver une réelle force vitale. En effet, loin d'être le récit d'un naufrage, c'est celui d'une jeune femme qui apprend à accepter sa condition et à la combattre. La Grâce se révèle une bonne surprise, un livre percutant et nécessaire.