Résumé: Alors qu'Aurore D'Hondt est en terminale au lycée en 2018, sa classe reçoit Ginette Kolinka. Attentifs, les élèves écoutent le récit que Ginette partage avec eux sur la Shoah qu'elle et sa famille ont subit.Le choc est rude et Aurore en ressort avec le souhait de réaliser ce que Ginette leur demande à la fin de sa visite : transmettre à leur tour afin de garder cette partie de l'Histoire dans la mémoire de tous. L'album c'est Ginette Kolinka qui parle, qui revit courageusement une partie de sa vie extrêmement douloureuse. Ce récit, commun à des millions d'autres, est destiné à tous. Il apporte un témoignage fort et direct.
C
omme l'affirme l'écrivain Imre Kertész, lui aussi victime de la déportation : "Auschwitz n'a pas été un accident de l'Histoire, et beaucoup de signes montrent que sa répétition est possible". Répéter pour ne pas oublier et pour avertir afin que cela ne puisse pas se reproduire est devenu le crédo et la motivation de nombreux rescapés des camps nazis. Ceci d'autant plus nécessaire que les témoins directs disparaissent et que le négationnisme gagne en vigueur...
Les témoignages ont commencé sous forme de livres, puis de documentaires. Les rapporteurs, soutenus par des associations, ont multiplié les conférences auprès des publics scolaires ou composé d'auditeurs désireux de mieux appréhender cet épisode accablant de l'Histoire. Depuis plusieurs années, le neuvième Art se fait lui aussi écho de ce devoir de mémoire, ce qui permet de toucher un public encore plus large Cet album est né de la rencontre de Ginette Kolinka et d'Aurore d'Hondt, en marge d'une intervention de la première à l'ISEN en avril 2019. Comme le mentionne Arnaud Boulligny (chercheur à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation et chercheur associé au laboratoire HisTeMé de l’université de Caen Normandie) dans la préface, l'étudiante prend alors "une claque". De ce moment va naître l'envie de transposer le récit de Ginette au format graphique.
La même année, les éditions Grasset publient Retour à Birkenau, dans lequel la déportée écrit : « Comment avoir pu supporter tout ça, je m’en étonne moi-même. » Arrêtée par la Gestapo en mars 1944 à Avignon avec son père, son petit frère de douze ans et son neveu, Ginette Kolinka est transférée à Auschwitz-Birkenau : elle sera seule à en revenir, après des passages à Bergen-Belsen, Raguhn et Theresienstadt.
Le parcours de cette jeune femme - 19 ans à l'époque - a embrassé l'horreur de la folie génocidaire et dans ce que l'humanité peut faire de pire, comme l'évoquait en son temps Primo Levi. D'ailleurs, une amie de Ginette, Marceline Loridan-Ivens, présente dans le même convoi, a cette phrase d'une terrible justesse : "On ne revient jamais vraiment d'Auschwitz." À travers la vie de Mme Kolinka, c'est une partie de l'histoire qui est montrée, de son enfance française à la stigmatisation, de Drancy à l'après-Auschwitz, et ce qui l'a poussée à témoigner. La partie sur le quotidien du camp donne quantité de détails, afin d'illustrer le processus de déshumanisation mis en place en ce lieu. Les lecteurs les plus érudits pourront aussi faire le lien avec le film Simone, le voyage du siècle d'Olivier Dahan, sorti en 2022. Dans l'album, Aurore d'Hondt restitue la scène où Simone (Veil) offre une robe à Ginette. Ce cadeau a un rôle important pour ces femmes et deviendra un souvenir puissant pour elles. La protagoniste - et l'autrice - montrent comment un soupçon d'humanité pouvait sauver moralement des individus dans les camps. Afin d'être au plus proche du vécu, les deux femmes se sont rencontrées à de multiples reprises lors de la réalisation du roman graphique. Parler alors d'une transposition à quatre mains n'est sans doute pas abusif.
Le style d'Aurore d'Hondt vient prendre le contrepied de la tension et des horreurs vécues par Mme Kolinka. En effet, son style se rapproche de la version animée de Persepolis. Les personnages ont des "bouilles" rondes, ce qui leur donne chaleur et humanité, tandis que leurs grands yeux font passer différentes émotions. Dans ce one-shot est en noir et blanc, la dessinatrice joue avec les ombres dans les décors, mais également en fond de planche lorsque le récit entre dans sa phase la plus difficile. Ce parti-pris esthétique retenu pour ce premier roman graphique de l'autrice est intéressant puisqu'il amène délicatement les lecteurs à suivre le personnage principal durant des évènements qu'ils devinent pénibles.
Ginette Kolinka récit d'une rescapée d'Auschwtiz-Birkenau est un album d'une puissance impressionnante. Les choix graphiques permettent d'amener une légère "douceur" à un récit souvent fort en émotions. Accessible à un large public, ce livre peut, et doit, être lu par de jeunes lecteurs à partir du collège ainsi que par des lycéens (lorsqu'ils doivent travailler la notion de mémoire en spécialité géopolitique) et des étudiants, sans oublier leur ainés.
N'oublions jamais : “Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s'exposent à ce qu'elle recommence...” Elie Wiesel.
Les avis
Erik67
Le 31/08/2023 à 07:23:28
C'est avec un grand intérêt que j'ai lu cette BD qui est le témoignage de l'une de toutes dernières rescapés de la Shoah en France. Ce que les nazis ont fait subir aux juifs est inqualifiable tant l'horreur est manifeste. Six millions de victimes innocentes tuées simplement parce qu'elles étaient nées juives. On a envie de croire que cela n'arrivera plus jamais.
Il y a en effet moins de 4000 juifs qui rentreront en France en 1945 à la fin de la guerre dont Ginette Kolinka. Cette dernière a vécu un tel traumatisme qu'elle n'en n'a jamais parlé à sa famille pendant 40 ans. Il a fallu que les langues se délient après le film de Steven Spielberg à savoir « La liste de Schindler » sorti en 1993 et récompense par 7 oscars sur 12 nominations.
Elle est alors invitée à en parler publiquement lors de colloques organisés un peu partout et notamment dans les écoles de notre pays.
C'est vrai qu'elle a eu une jeunesse heureuse et insouciante. Quand le gouvernement de Vichy a collaboré avec les nazis en promulguant des lois anti-juives, la famille notamment le père n'a pas pris conscience que cela pouvait dégénérer à ce point. Ils se sont accrochés en espérant que le pays les protège de la folie meurtrière de l'envahisseur. A tort.
En mars 1944, alors qu'elle n'a que 19 ans, Ginette est arrêtée avec son père et son jeune frère ainsi que son neveu de quatorze ans par la Gestapo à la suite d'une dénonciation. Il faut dire qu'elle avait tout fait pour effacer toute trace de reconnaissance juive mais il y a des signes qui ne trompent pas au niveau des hommes.
Elle est incarcérée dans diverses prisons françaises avant d'être livré aux nazis par les fameux trains qui mènent non pas dans des camps de travail mais dans des lieux de morts. On notera la complicité assez active de l'administration française.
Dès l'arrivée du train, son père ainsi que son frère sont gazés. Ginette, quant à elle, est sélectionnée pour le travail et rejoint le camp des femmes. Elle décrit les épouvantables conditions de vie. On peut être dégoutté par le genre humain suite à cette lecture. Evidemment, on ne peut se retenir de lâcher quelques larmes si on est encore capable d'éprouver de la compassion.
Ginette Kolinka est devenue une sorte d'ambassadrice de la mémoire en sillonnant la France et en touchant notamment les jeunes. J'ai bien aimé la dernière case où elle déclare : voilà où mène la haine.
Il s'agit de toujours se rappeler de cela pour ne pas aboutir à une situation de barbarie absolue qui malheureusement se perpétue à travers l'histoire. Poutine est bien là pour nous le rappeler notamment le récent massacre de Boutcha. On peut aimer la littérature russe mais ne jamais oublier ce que la population cautionne dans son mutisme absolu.
Pour en revenir à cette BD, elle est essentielle pour bien comprendre. Certes, il y a eu le comics culte « Maus » d'Art Spiegelman. Cependant, le traitement graphique de cette œuvre permet une approche plus simple dans sa lecture.
Ce que j'aime chez cette femme, c'est qu'elle a eu le courage de reconstruire sa vie après ça. Elle a eu une vie heureuse malgré cette horrible période. Je suis plus qu'admiratif devant cela.