A
u cœur de la capitale libanaise se trouve la rue Rizkallah. Comme tant d'autres à cette période, ses habitants s'y côtoient mais ne se mélangent pas. "Chacun savait qu'untel était chrétien, untel musulman, untel Arménien... Mais on n'y prêtait pas attention". L'année 1975 remet en question cet équilibre et l'image de vitrine moyen-orientale du pays. En représailles aux attaques de certains réfugiés de la Nakba basés dans les camps libanais, l'aviation de chasse israélienne bombarde la banlieue sud de Beyrouth, là où se trouvaient les camps palestiniens. L'armée, puis les milices du parti phalangiste se mettent en branle. C'en est fini de la paix.
Le journaliste et romancier Sélim Nassib assure le scénario de cette série pensée sur trois tomes. Il parvient à trouver un angle original afin de montrer comment le quotidien peut basculer en peu de temps. Pour ce faire, il ancre son récit dans une rue comme tant d'autres de Beyrouth. Peuplée d'individus appartenant aux différents groupes ethnico-religieux du pays, la cohabitation semble sans heurts et des plus banales. Le scénariste insiste sur la côté cosmopolite et accueillant du Liban des années 1970, pour montrer ensuite le glissement pernicieux des Phalangistes. Par l’utilisation de trois personnages appartenant à la même fratrie, il montre comment l'ambition, la bêtise ou même la rivalité entre jeunes hommes peuvent les transformer en miliciens avides de puissance sociale ou de vengeance. Ainsi, en partant des quidams, des acteurs du quotidien, l'auteur amène l'Histoire à hauteur d'homme, la rendant plus concrète et plus accessible.
De prime abord, l'aspect graphique surprend. Léna Merhej propose un trait simple qui peut être déroutant. Le style donne des "gueules" parfois patibulaires ou cartoonesques aux personnages. Cela permet d'atténuer la tension des évènements. La construction des planches oscille entre le classique et le déstructuré en passant par le strip. Mais là où Léna Merhej fait preuve de créativité, c'est dans l'utilisation de la couleur, au service de sa mise en scène. Par exemple, le tome débute par une double pleine page d'une vue d'avion. Le trait y est rond, doux avec des verts et de roses pastels. En suggérant ainsi un temps suspendu et paisible, la dessinatrice fait plonger progressivement les lecteurs dans les débuts de la guerre civile où le trait est plus sec et anguleux avec une dominante de gris. Le choix des duos trait / couleurs est à saluer.
Ce premier opus du Génie de Beyrouth est une immersion dans la capitale libanaise au moment du déclenchement et des débuts de la guerre civile qui frappa ce pays. Un album dont la lecture comblera les amateurs de l'histoire du Moyen-Orient.
Les avis
Erik67
Le 21/08/2025 à 07:35:24
Si seulement il y avait un génie bleue pour pouvoir sauver Beyrouth et le Liban dans son ensemble assez malmené ces dernières années par une terrible guerre civile ayant déchiré totalement cette société jadis luxuriante comme la Suisse du Moyen-Orient.
Le récit se situe en 1975 où l’on va croiser différents personnages que tout semble opposer. C'est juste avant que le pays ne bascule dans cette terrible guerre ayant conduit au désastre.
C'est vraiment dommage car ce pays était une belle exception avec l'intelligence du vivre ensemble et cela fonctionnait plutôt bien au niveau de la prospérité et des libertés comme c'est montré dans la BD.
Il aura fallu que le conflit des palestiniens et des israéliens viennent divisés totalement leur société pour les plonger dans la guerre. Parfois, il est bon pour sa sérénité et sa sécurité de rester totalement neutre face à des événements extérieurs sous peine d'être entraîné à son tour dans une folie destructrice.
Le graphisme fera dans le simplisme le plus total. Au moins, cela ne sera pas chargé. Par ailleurs, de belles couleurs rendent la lecture plutôt agréable malgré un sujet pour le moins sombre et sérieux.
C'est un récit au final assez touchant qui constitue un précieux témoignage pour comprendre ce basculement. Nul autre pays n'est à l'abri d'un tel destin, c'est ce qu'il faudrait retenir pour ne pas commettre les mêmes erreurs.