Résumé: 6 ans de travail, plus de 400 pages, pour mettre au jour un massacre perpétré par l'armée israélienne sur la population de Gaza, en 1956, et que l'Histoire a tout fait pour oublier. Hautement considéré par ses pairs auteurs, les médias et ses lecteurs du monde entier, Sacco poursuit son engagement sincère, courageux, âpre, rigoureux et nécessaire. Son oeuvre est une charge explosive qui a fait voler en éclats les limites de la bande dessinée. C'est lors d'un reportage pour le magazine «Harper's» en 2001, que Joe Sacco se remémore une brève citation, une note de bas de page, lue dans un rapport de l'ONU. Elle parlait d'un massacre de près de 275 civils, perpétré par l'armée israélienne à Khan Younis et d'une dizaine d'autres à Rafah, ville voisine, en 1956. Difficile à croire, alors entre novembre 2002 et mai 2003, le dessinateur reporter se rend à trois reprises sur le terrain, afin d'établir la véracité de cette tragédie et embarque le lecteur à la recherche de traces du massacre.
J
oe Sacco strikes again ! L’auteur de Palestine est de retour dans les territoires occupés. Ce terrible conflit sans fin et sans espoir, fait de drames quotidiens, est devenu quasiment banal pour ses habitants et, plus largement, pour les audiences du monde. Quand la violence aveugle répond à la violence aveugle, même les borgnes peinent à voir pour voir ce qui se passe autour d’eux. Joe Sacco, lui, a les deux yeux bien ouverts et la plume acérée. 386 pages de témoignages, de récits, de vies mutilées, perdues pour reconstruire un « incident » de 1956, quand l’armée israélienne profita de la crise du Suez pour ramener, discrètement à l’ordre, d’une manière plus que musclée, les habitants de Khan Younis et Rafah dans la bande de Gaza. Âmes sensibles s’abstenir, curieux de comprendre pourquoi, bienvenus.
Pour réaliser cet album passionnant, il a fallu à l’auteur presque dix ans et plusieurs voyages dans une des zones les plus dangereuses de la planète. Il s’agit, tout d’abord, d’un minutieux travail de journaliste, une enquête longue et difficile pour retrouver les différents témoins de cet évènement vieux de cinquante ans. Tâche titanesque quand on connaît les conditions de vie de la population palestinienne parquée dans ces camps de réfugiés « provisoires » depuis 1948, et quand on sait que le passé n’intéresse que très peu ces individus en prise avec une réalité autrement bouleversante. Bon an mal an, Sacco remonte la piste des survivants, souvent des vieillards meurtris à la mémoire chancelante, recoupe les témoignages, trace des cartes, fouille les archives – celle de l’ONU à New-York, d’autres, israéliennes, à Tel Aviv – pour tenter de dresser, du mieux possible, une image cohérente de ces évènements. Face au mutisme des israéliens et au langage hermético-diplomatique des sources onusiennes, son récit pourrait être taxé de partisan. Évidemment, les témoignages sont ceux des palestiniens, des victimes. L’auteur évite néanmoins de stigmatiser l’un où l’autre des protagonistes. Il fait, réellement, le métier de journaliste : relater des faits réels et avérés.
Même si le sujet de l’enquête est 1956, il est impossible de faire abstraction du présent, surtout quand les balles sifflent au-dessus de votre tête. Comme à son habitude, Sacco se met en scène sur place. Assisté de plusieurs traducteurs-facilitateurs (voir The Fixer), il sillonne Gaza et est témoin du désespoir quotidien des palestiniens. Ce témoignage est à la fois des plus éclairants et, malheureusement, désespérant pour le genre humain.
Et la BD dans tout ça ? Gaza 1956 est également un excellent album. Le journaliste, maintenant dessinateur, est à la hauteur de la tâche. Il varie à l’infini la construction de ses planches : cases ouvertes, moule à gaufre, panoramiques, incrustations, textes narratifs « flottants ». Cette mise en page de haute de tenue reste toujours très lisible. Heureusement, car la quantité d’informations est imposante - il ne s'agit pas d'un livre lu en un quart d’heure. La caractéristique la plus marquante du dessin se trouve dans la manière dont l’auteur dépeint ses personnages. Seul ou perdu dans une foule, chaque individu possède une identité graphique propre. Ce soin apporté à la description physique des protagonistes renforce la profonde sincérité de la démarche narrative de l’auteur.
Joe Sacco, par son travail exemplaire à tous points de vue, prouve une fois de plus la force évocatrice et narrative de la bande-dessinée. Gaza 1956 est indispensable.
Les avis
Erik67
Le 01/09/2020 à 16:06:02
Tout conflit armé quelqu'il soit est à proscrire. Il faudrait toujours trouver des solutions pacifistes pour le bien commun des peuples. Au-delà de ce constat bienveillant et presque utopiste, je dois bien admettre que les médias nous ont toujours donné que le seul point de vue des israéliens dont le peuple avait subi les pires exactions pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il y a toujours eu une espèce de sympathie liée à la compassion ce qui nous faisait fermer les yeux. Pour autant, ce conflit est l'un des plus compliqué et des plus insolubles qui puissent exister puisque la même terre est revendiquée par deux peuples que tout oppose. L'Occident avait clairement choisi son camp et ce, depuis le début.
C'est vrai que depuis la seconde Intifada, je m'étais posé de légitimes questions en voyant les destructions de maisons mené par un gouvernement belliqueux et irresponsable. Et s'ils avaient tort ? Bref, le doute s'est installé. On appelait toujours dans les médias les palestiniens de vulgaires terroristes qui se faisaient sauter par désespoir de cause dans les rues de Tel-Aviv. En lisant cette oeuvre, nous avons un autre point de vue qui m'a d'ailleurs convaincu personnellement. On n'a pas assez parler des exactions israéliennes comme celle de novembre 1956. Il est vrai que l'auteur fait un parallèle intéressant entre le passé et le présent sur la situation qui n'a finalement guère évolué dans la bande de Gaza.
Comme beaucoup d'entre nous, j'ignorais ce qui s'était passé. Ces exécutions sommaires de centaines de civils est consternante. Il n'y a aucune justification pour ces meurtres commis de sang froid devant des familles apeurées. C'est vrai qu'Israel, sous prétexte de défendre sa souveraineté nationale, applique la loi du talion. C'est franchement indigne d'une démocratie responsable. En tout cas, je ne partage pas ces valeurs. J'espère qu'un beau jour, il y aura un gouvernant assez visionnaire pour démanteler les colonies et laisser vivre tranquillement un peuple totalement opprimé. J'espère que viendra également le temps de la vérité et du pardon et qu'on pourra tourner la page de ce conflit qui n'a que trop duré.
On a reproché à l'auteur son manque de partialité. Cela me fait bien rire quand je vois que les médias ont clairement été d'un côté pendant des années et qu'ils se contentent désormais d'une simple neutralité. C'était extrêmement courageux de la part de Joe Sacco. Par ailleurs, il a mené un travail d'enquête journalistique basé sur une multitude de témoignages qu'il a trié sans compter les archives historiques sur lesquels il s'appuie. C'est l'une des oeuvres les plus marquantes et les plus instructives dans la démarche que j'ai pu lire. Ce n'est pas une réécriture de l'Histoire mais il rétablit de simples vérités au-delà de tout manichéisme.
guyomar
Le 21/01/2011 à 17:56:24
Une BD documentaire et historique réellement passionnante ! Quel travail de la part de l'auteur, c'est assez énorme...Une des nombreuses bonnes idées de la BD est d'intégrer dans le récit le travail de fourmi que l'auteur a réalisé en territoire palestinien pour recueillir les témoignages qui lui permette de dérouler finement le fil des évènements passés. En faisant s'entrechoquer les évènements de 1956 et le quotidien actuel des palestiniens de la bande de Gaza, l'auteur évite habilement le piège de l'historiographie pure et dur et se donne la possibilité d'intégrer un peu d'humour et de subjectivité dans son récit. Et c'est à mon sens ce qui rend cet énorme pavé si passionnant. Le dessin (N&B) est très bien, varié et précis, toujours au service du récit et Sacco use de toute la panoplie des cadrages et des construction de pages possibles pour éviter les redondances et rythmer la lecture. Bref, tout amateur du genre se doit de feuilleter cet ouvrage un peu hors norme et sacrément intéressant...
mallory
Le 10/12/2010 à 10:44:10
Joe Sacco est un pleutre ! Et c’est vraiment une très grande qualité lorsqu’on se trouve dans des pays en guerre. Sa prudence et sa couardise lui servent de ressort dramatique pour ses histoires et lui permettent de rester en vie malgré le danger. Il se met en scène, en tant que journaliste enquêtant sur des sujets sensibles.
Pour cette bande dessinée c’est l’équivalent de 6 années de travail et un résultat de 400 pages. En nous plongeants dans les racines de la crise Israélo-palestinienne il nous aide à mieux décrypter l’actualité. Grâce à un dessin sec, en noir et blanc, précis et dépouillé il donne à voir toute une galerie de personnages – ceux qu’il a rencontré pour ses enquêtes – et nous permet d’entrer dans leur vie et leurs histoires en sondant les mémoires ; Joe Sacco ne fait pas qu’interviewé différents protagonistes, aidés par des amis historiens et journalistes, il enquête aussi sur les différentes sources existantes : archives de l’ONU, du gouvernement israélien, etc…
Joe Sacco a enquêté sur des massacres perpétré par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, à Rafah et Khan Younis pendant l’année 1956. L’armée israélienne était alors occupée à apporter son soutien à la France et à la Grande Bretagne empêtrées dans la crise de Suez. Tsahal avait envahi le Sinaï et occupait la bande de Gaza.
Autant dire que cette BD est admirable, et apporte une pierre indispensable au processus d’écriture historique en mettant en avant des évènements méconnus de cette guerre.
Le point de vue de Joe Sacco reste engagé et neutre, il s’attache aux faits et donne la parole aux différents protagonistes.