Résumé: 1943, dans le camp de Sobibor. Moïse et les autres détenus préparent leur évasion, mais l'arrivée inattendue d'une centaine de SS dans le camp contrarie leurs plans. Un an plus tôt, à Los Angeles, sur le plateau de son dernier film, Salomon retrouve Stefan Gunther, un détective privé allemand qu'il a engagé pour obtenir des informations sur son frère dont il attend désespérément des nouvelles...
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ctobre 1943, camp d’extermination de Sobibór en Pologne. Depuis plusieurs semaines, Moïse et ses compagnons de détention préparent leur révolte. Le jeune homme continue à officier comme coiffeur pour les nazis, assisté par Klara. Alors que le commandant Reichleitner et plusieurs de ses hommes se sont absentés, le moment parfait semble se présenter. Mais, le jour prévu, plusieurs dizaines de militaires voisins viennent profiter de l’absence de hauts gradés pour boire du schnaps avec leurs collègues. Le plan, initialement millimétré, est mis à mal. De son côté, Salomon Rubin (comme il se fait appeler désormais) poursuit sa vie à Los Angeles. Quelques mois plus tôt, il accueillait un invité un peu spécial : Stephan Günther. Le détective privé a été engagé pour retrouver la trace de Moïse et arrive avec d’importantes nouvelles…
Qu’il semble lointain, le temps où les frères Rubinstein n’étaient que deux gamins dans un coron du Nord de la France. Les années 1930 sont passées par là et, avec elles, l’émergence du nazisme et donc la perspective d’un avenir sombre pour des juifs d’origine polonaise comme eux. Dans ce sixième tome, l’action se situe principalement en 1943. Comme depuis le début de la série, les lignes de temps se chevauchent. Mais Luc Brunschwig prend soin, dans ce nouvel opus, de limiter cet enchevêtrement. C’est un choix judicieux puisque le récit atteint l’un de ses points culminants avec la révolte de Sobibór, qui s’annonçait à la fin d’Un pacte avec Satan. Cet évènement traduit parfaitement ce qui fait tout l’intérêt de la série : le destin d’individus, à commencer par les deux membres de la fratrie, mêlé à l’histoire dans tout ce qu’elle a de plus véridique. Car le camp d’extermination situé à la frontière avec l’actuelle Ukraine a effectivement existé et un soulèvement y a bel et bien éclaté, entraînant sa fermeture prématurée. Le scénariste poursuit par ailleurs son exploration de la psychologie des différents intervenants. La complexité du caractère des personnages-titres est assurément un élément qui s’apprécie sur la durée de la saga. Dans Shabbat Shalom, la répartition des rôles avait quelque chose de légèrement manichéen : Salomon était surprotecteur et très socialement à l’aise tandis que son cadet était discret et studieux dans ses études. Désormais, l’un et l’autre ont gagné en épaisseur et en nuance, sortant de leur statut initial. Le plaisir à suivre leur évolution n’en est que renforcé.
Pour assurer une qualité constante tout en préservant un rythme de parution soutenu (six tomes parus en quatre ans et demi), le choix d’un tandem pour la partie graphique s’avère pertinent. Étienne Le Roux, qui s’occupe des personnages et de la mise en scène, travaille les regards et les attitudes pour transmettre une véritable émotion. Il traduit, aussi, ce que peut être la violence non suggérée du récit. Il était, en outre, important que les protagonistes prennent physiquement de l’âge sans que cela ne crée de rupture trop franche pour l’œil du bédéphile, ce que le dessinateur, usant de quelques artifices, parvient habilement à faire. Loïc Chevallier se concentre, quant à lui, sur les décors auxquels il apporte une grande minutie. Chaque case est ainsi fournie et détaillée, mais jamais surchargée.
Son nom ne figure pas sur la couverture. Pourtant, Elvire De Cock joue également un rôle très important dans la réussite de la série. La coloriste est désormais bien connue des amateurs de bandes dessinées et intervient sur de nombreux titres chaque année (en 2024, par exemple : Habemus Bastard, Nephilims ou encore Ladies with guns). Ses couleurs subliment le trait, sans toutefois l’étouffer. L’approche est essentiellement réaliste et traduit parfaitement l’univers et l’époque. Mais l’artiste n’hésite pas, aussi, à faire preuve d’inventivité pour proposer des teintes qui s’écartent de la réalité tout en servant l’histoire. Ainsi, la lumière jaillit à travers les planches et de remarquables ambiances s’installent.
Tome riche en rebondissements, La ponctualité allemande confirme que Les frères Rubinstein est une lecture vivement conseillée.