Info édition : Un dossier de 22 pages en fin d'album. Couverture avec titre embossé.
Résumé: Parano au pays des super-héros.
Entre les années 1930 et 1950, au coeur d'une Amérique troublée en recherche d'elle-même, deux figures emblématiques de la culture populaire s'opposent : Fredric Wertham et William Moulton Marston. Le premier, officiant comme expert psychiatre auprès de la justice, mène une campagne de dénonciation à l'encontre des comic books pendant que le second, travaillant dans l'industrie du divertissement, et auteur de Wonder Woman, en défend les mérites pédagogiques. Au fil de l'histoire, au travers de ces deux personnages, d'un kiosque et des passants qui l'entourent, se dessine le reflet d'une société américaine.Fredric, William et l'Amazone retrace l'evolution des comic books et decrit le portrait d'une Amerique traumatisee, de la grande depression a la paranoia maccartyste de la Guerre froide, en passant par la seconde guerre mondiale. Il parle d'une Amerique frappee par la figure des tueurs en serie puis par la grande peur du communisme.
]
Fredric Wertham a quitté son Allemagne natale pour venir exercer la psychologie à New-York. Il entretient une relation épistolaire avec son mentor, Sigmund Freud, dont il tire une certaine renommée qui lui permet notamment d’officier en qualité d’expert psychiatrique auprès des tribunaux. À ce titre, l’affaire judiciaire du tueur en série Albert Fish va profondément l’influencer. À la même période, toujours à Big Apple, William Moulton Marston participe à la conception d’un prototype du détecteur de mensonge. Héritier d’une lignée qui remonte jusqu’à la bataille d’Hastings (1066), il désire intimement entrer dans l’Histoire. Convaincu que son invention est son sésame, il tente de promouvoir le polygraphe par tous les moyens. Par leurs engagements, ces personnalités aux antipodes vont durablement affecter la commercialisation et l’exploitation des illustrés.
Touche à tout de l’édition, Jean-Marc Lainé est un fin connaisseur de la bande dessinée. Il a rédigé plusieurs analyses (Frank Miller – une biographie, les manuels de la BD) et participer à la réalisation de séries (Omnopolis, Grands anciens). Sous une casquette de scénariste, il signe un projet qu’il lui tient à cœur depuis de nombreuses années. Un double biopic, rien que ça ! Sous forme de destins croisés, il conte tant les travers de la société américaine que l’évolution de son industrie culturelle. L’écrivain étale son récit du début des années vingt au milieu des années cinquante. Il le structure en quatre chapitres portant le nom d’hommes ayant influencé de près ou de loin les décennies concernées (Sigmund Freud, Albert Fish, Adolf Hitler, Joseph McCarthy). Le scribe sort également de son chapeau deux individus de caractère. Le premier est un inventeur polygame, moins reconnu pour sa machine que pour sa création littéraire, Wonder-Woman (initialement Suprema Wonder Woman). Le second est un aliéniste puritain, auteur de Dark Legend et Seduction of The Innocent, des essais hostiles aux pulp magazines. Il est donc communément accusé d’être l’instigateur du Comic Code Authority. Ce duo d’anti-héros fréquentait les mêmes cercles, les mêmes lieux, et pourtant, aucune rencontre n’a été répertoriée dans leurs biographies respectives. Le rédacteur orchestre cependant une occasion ratée sur l’étal d’un kiosquier. Évidemment, une référence pensée à Watchmen, d’Alan Moore et de Dave Gibbons, où le vendeur de journaux, protagoniste récurrent, est le témoin des préoccupations des gens de la rue marquant ainsi, au fil des ans, le changement des consciences.
Afin d’assurer une parfaite immersion, Thierry Olivier (Beyond the tomb, Le garde Républicain, Affreusement vôtre!) adopte un style semi-réaliste et compose lisiblement ses pages. Son trait est fin et précis, mettant en valeur des décors détaillés et l’expressivité de ses interprètes. Une colorisation informatique, essayée pendant quelques planches, a été abandonnée au motif qu’elle ne convenait pas aux propos de la paire d’artistes. Néanmoins, en vue de satisfaire leur lectorat, plus largement habitué à une mise en relief, le dessinateur rehausse son noir et blanc d’un lavis de gris aux déclinaisons régulières. Distinguée, la pigmentation prend davantage d’ampleur par l’ajout, ponctuel, d’inserts de cases teintées. Un bleu pâle, à la rare intention du créateur de la princesse Diana. Et surtout, un rose éclatant à destination du Docteur munichois, visant à représenter la perversion des photos de meurtres qu’il étudie et les cauchemars qui l’accablent. Une rupture visuelle particulièrement réussie !
En supplément, le lecteur attentif apprend que les comparses partagent une passion commune à l’égard des parutions de EC Comics (Educactional Comics, puis Entertainment Comics). Cette maison d’édition a marqué le neuvième art en proposant des titres puissants et intemporels (The Crypt Of Terror, The Haunt of Fear, Frontline Combat ou encore Weird Science). Les complices ont donc inauguré les grandes séquences de l’album par un quatuor de fausses couvertures, dont la dernière est singulièrement aboutie.
Frédric, William et L’amazone est une parution soignée, agrémentée d’une myriade de précisions en fin d’ouvrage. Un travail exigeant et une découverte tant didactique qu’immersive.