Résumé: Dans ce XIXe siècle d’innovations techniques et de révolution industrielle, la littérature anglaise a produit des figures fantastiques iconiques qui sont toujours vivantes aujourd’hui. C’est le cas du Frankenstein de Mary Shelley et de son héros au destin tragique. Un proscrit rejeté de tous et en premier lieu par celui qui le façonna. De son délire narcissique est né un être colossal et effrayant qui témoigne de sa capacité à aimer, de son besoin de se relier et qui est condamné à la solitude, à la souffrance, à l’incompréhension et au rejet. Car cette « chose » innommable, cette monstruosité, à qui la postérité donnera le nom de son créateur, est un agglomérat de cadavres auquel Victor Frankenstein a donné la vie. Dans la lignée de son magistral Dracula, Georges Bess signe une adaptation somptueuse du Frankenstein de Mary Shelley. On y retrouve la magie de son noir et blanc profond et élégant qui sublime la dramaturgie du récit. Une œuvre grandiose, où le trait acéré et l’encrage puissant de l'auteur expriment dans chaque case le souffle romantique de cette histoire. Celle du cauchemar d’un monstre et de la folie d’un homme. Une pépite graphique incontournable.
Je reviens vers vous après une si longue absence. Nonobstant de longues hésitations, j’achève céans ce qui, au début du moins, n’était qu’un passe-temps littéraire, de ceux auxquels nous nous adonnions les soirs de pluie, mais qui, par un concours de circonstances, dont seule mon imagination est coupable, a pris une tournure tout autre. Je dois vous l’avouer aujourd’hui, mon œuvre m’effraie, car au-delà du pittoresque cette histoire est quelque peu la mienne, même si je m’en cache sans vraiment m’en défendre. Le style est des plus romantiques, en accord avec notre époque, plein de ces digressions et circonvolutions propres à une jeune femme de ma condition. Toutefois, je désire insuffler à mes mots une portée qui diffère de celle du simple divertissement. Ce faisant, je m’interroge sur ce qu’en conviendront les personnes dotées d’une sensibilité différente de la mienne. Retiendront-ils la bête en oubliant l’être, donneront-ils un nom à cette créature, chose que je n’ai pu faire… ? Autant d’interrogations qui me laissent, en cette heure, dans une grande perplexité. En effet, je crains que suite à l’émoi que procurera mon récit, l’impulsion ne l’emporte sur la raison.
Il y a quelques jours de cela, perdue devant un tableau de William Turner qui sait si bien représenter la beauté de la lumière et des Alpes, je me demandais ce que ferait la personne qui un jour voudrait, bien que l’idée soit – je vous le concède - des plus incongrues, dessiner mon récit ?
Cet homme, ou cette femme, saurait-il rendre compte de mes intentions ? Par-delà des abimes que je côtoie et où je précipite tous les protagonistes, pourra-t-il traduire ce qui, en ces jours, me préoccupe de la sorte ? Ferait-il siens mes doutes et retranscrirait-il, avec délicatesse, la foi qui anime celui qui crée comme l’angoisse qui assaille celui qui a créé ? De quelle manière révèlerait-il la splendeur des paysages traversés, comment intérioriserait-il, à l’instar des discours de Monsieur Rousseau, mes considérations sur la bonté naturelle de toute âme à qui Dieu a donné vie et à la perversion qu’engendre la société des Hommes ? Ce livre dessiné se devra d’être en noir, telle la vilenie de la vengeance qui remplit le cœur de ce monstre, et en blanc pareillement à la vertu que nous appelons tous de nos vœux. Le trait, je l’imagine précis, fin, réaliste, parfois enluminé, mais toujours à la mesure de la grandeur des éléments et de la fureur des sentiments. Chacune des images sera le miroir des tourments de chacun, le reflet de cette solitude qui stigmatise la différence, la preuve de notre aveuglement à prendre pour bon ce qui est beau et à vouer la laideur aux gémonies. Il faudra qu’à travers la succession de ces gravures se dessine, comme le professait un vieil auteur français, la certitude que "... sans conscience la science n’est que ruine de l’âme". Cependant, connaissant les arts peints, je sais qu’afin d’en rendre l’accès facile et plaisant à lire, il aura recours à nombre d’ellipses que j’appelle de mes vœux à être judicieuses. En procédant ainsi, je suis certaine qu’il retravaillera nécessairement la structure de mon roman... puisse-t-il procéder de la sorte, pour s’épanouir, sans trop s’écarter cependant du sentier que j’ai tracé ! Doux ami, les mots sont un flot, le dessin fige l’instant. Tel est l’avantage de mon art, quoi que la peinture ou la gravure peuvent, en cet instantané, retranscrire ce que je mets tant de pages à décrire !
Je ne sais pas si mes écrits trouveront un écho dans les siècles à venir, mais par l’universalité des thèmes abordés, je ne doute pas que d’aucuns en feront leur matière quitte à en dénaturer la teneur et la forme. Le genre humain se veut puissant, vertueux, généreux, mais il succombe facilement au vice et à la vilénie. Tel pourrait se résumer mon propos s’il n’était, en vérité, question que d’amour, de celui que nous recherchons au côté de ceux qui nous ont engendrés ou que nous chérissons, et de ceci, il n’est nulle terreur à en retirer ! Je remercie ceux qui sauront en témoigner.
Votre attentionnée et dévouée Mary.
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Les avis
Erik67
Le 21/06/2024 à 08:20:28
Après Dracula, Georges Bess s'attaque à l'autre mythe britannique du 19ème siècle à savoir Frankenstein dans une nouvelle adaptation fidèle à l’œuvre. Certes, c'est Mary Shelley qui a créé le mythe de "Frankenstein" mais c'est surtout son passage au cinéma qui lui a donné toute la force et le succès jamais démenti. Il restait à savoir ce que cela donne sur le format de la bande dessinée.
Dernièrement, j'ai posté une adaptation signée Sergio Serra en 2009. Il est vrai que je l'ai considérée comme la meilleure car je n'avais pas lu la version scénarisée de Georges Bess. J'ai promis de rattraper cette lacune et c'est chose faite.
Le côté hideux et monstrueux du personnage de Frankenstein semble disparaître pour laisser place à quelque chose de profondément humain malgré tout. Le développement du personnage semble cohérent avec ce qu'avait voulu Mary Shelley avant sa transformation en bête de foire. Cela reste une œuvre qui interroge sur la condition humaine.
Le graphisme fourmillant de détails est encore une fois très soigné et maîtrisé. C'est de très beau noir et blanc qui restituent à merveille ces ambiances sombres et inquiétantes. Oui, la beauté des planches est presque sidérante !
Je dirais que Georges Bess a réussi son pari car il a procuré une certaine maturité à l’œuvre qui devenait un peu kitch notamment au cinéma avec toutes ces versions qui se sont succédés. La narration est certainement le gros point fort car elle est immersive.
Au final, cet album m’a fait une forte impression. Grandiose et monstrueux à la fois !
Captain_Eraclés
Le 11/07/2022 à 08:49:21
N'ayant jamais lu ni vu quoi que ce soit sur le mythe Frankenstein, j'avais l'idée que le denouement de ce conte était la création, le don de la vie à un monstre reconstitué . Finalement il s'avère que ceci n'est que le début de l'histoire, et que cette dernière m'a reservé un surprenant romantisme à travers de multiples péripéties, parfois violentes, souvent touchantes . Le dessin en noir et blanc est de grande qualité, certaines pages sont exceptionnelles . Il m'est arrivé de ressentir de la peine pour cette abomination physique, aux yeux vitreux mais paradoxalement très expressifs, d'une profonde tristesse. Sa transformation morale dûe au fait des excations humaines provoque chez le lecteur un certain désarroi et beaucoup d'empathie .
La mise en page rend le bouquin luxueux, avec par moment des airs d'un vieux grimoire qu'on souhaite conserver précieusement . Je conseille fortement cette interprétation du monstre de Frankenstein, tant sur la forme que sur le fond .
bullesd'amour
Le 10/01/2022 à 20:01:13
Georges Bess continue ses adaptations de roman gothique du 19ème siècle. Sa nouvelle œuvre, Frankenstein est le pendant de son Dracula, on a là 2 monstres créés dans l'imaginaire de l'époque romantique. Cette fois-ci nous ne sommes plus dans la noirceur du mal absolu, mais au contraire dans la compassion du bien incarné de ce nouveau né créé par un chercheur Victor Frankenstein. Le roman soulève les questions suivantes : est ce qu'un monstre peut se faire accepter des autres et vivre une vie normal ? Et quels sont les rapports complexes entre le créateur et sa création, qui est le monstre finalement ?
.Je découvre ce roman qui finalement est moins connu que le mythe de Dracula, mais qui est tout aussi intéressant.
J'ai bien apprécié son interprétation même si graphiquement cela est moins spectaculaire et envoutant que son Dracula. Il reste quand même des planches magnifiques et un super découpage.
Je le recommande en version grand format noir et blanc qui respecte ses planches originales.
RoRk41
Le 07/01/2022 à 12:36:28
en voyant la couverture chez mon libraire, j'ai pensé à une réédition de Dracula...
En relisant le titre, je me suis précipité pour le dévorer.
Du mythe Frankenstein, je ne connaissais que le monstre, j'ai découvert le reste de l'histoire qui traite de la difficulté de l'intégration et des relations familiales.
Merci pour les dessins, la mise en page et les émotions qu'ils ont provoquées.
Encore un chef d’œuvre !
denbass44
Le 06/12/2021 à 23:00:50
Georges BESS nous comble en poursuivant son sillon qui ne manque ni de profondeur ni de parcours original et maîtrisé. Là encore, la narration n’est jamais un frein aux émotions qu’il transmet ce qui est déjà une gageure par rapport à un texte littéraire qui date de plus de 2 siècles. Et que dire de l’expressivité du dessin au service de l’émotion. C’est bien simple, et à l’instar de ma lecture de son DRACULA, très vite, j’ai volontairement ralenti ma lecture pour la rendre plus intense (quand la qualité est là, on ne peut que craindre de ne pas en profiter intensément) pour m’imprégner du moindre détail, tant le plaisir était grand et fort, Du grand art. Chapeau Monsieur BESS et longue vie