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longée dans « le charme discret de la bourgeoisie » scandinave. Sans qu’il n’y ait un quelconque lien à chercher là avec le film éponyme de Luis Buñuel, l’expression sied plutôt bien pour caractériser l’environnement de ce triptyque. Frances est une petite fille qui n’a pas connu sa mère et dont le père vient de décéder. Recueillie par Ada, la sœur de ce dernier, elle va découvrir sa famille dont elle ignorait encore tout hier. Le lecteur, lui, a accès à des fragments de non-dits : ce qu’il faut pour saisir certaines choses, ce qu’il faut pour conserver une part d’interprétation.
Très agréable à lire, il est vraisemblable que Joanna Hellgren a effectué un important travail en amont pour mettre en place son scénario et introduire les différents protagonistes. Ici, pas de seconds rôles au rabais, chaque personnage a de la consistance, son histoire qui lui est propre et qui se joue par rapport à celle des autres. Cela est d’autant plus vrai qu’il y est notamment question d’inconséquence dans un milieu qui a (avait) les moyens. Pour autant, l’auteure se garde bien d’intervenir, de livrer quelque leçon que ce soit. Elle s’en tient au constat d’un délitement.
Fin 2008, début 2009, les deux premières bandes dessinées de Joanna Hellgren sortent consécutivement chez l’éditeur Cambourakis : le premier tome du triptyque Frances qu’elle clôt aujourd’hui et un one-shot, Mon frère nocturne. À la lecture de ces deux albums, deux choses s’imposent, d’une part, la fascinante élégance de son trait, d’autre part, la maturité de son propos, sa capacité empathique. Si Mon frère nocturne a beaucoup d’un travail expérimental - le dessin est essentiellement au service de ce qui se passe dans la tête d’un petit garçon -, Frances entre résolument dans un cadre narratif plus classique.
L'histoire est racontée de manière chronologique, jusqu’à l’Épisode 2, où le récit débute dans un ailleurs qu’il n’est pas possible de situer avant de comprendre, un peu plus loin, le chemin emprunté par Joanna Hellgren. L’objet n’est plus de suivre, dans une ambiance froide et déprimée à la manière des lieder de Schubert, les premiers pas de Frances dans l’univers feutré des siens, mais de comprendre ce qui fait qu’elle est là aujourd’hui. Cela passe, entre autres, par des allers-retours dans le temps et par des incursions dans l’intimité du père de la petite. À travers cette reconstitution, c’est le personnage d’Ada - sœur de l’un, tante de l’autre - qui émerge, dans ce qu’elle porte sur ses épaules, dans ce qu’elle a de fragile. La tonalité oscille alors entre gravité et légèreté, sans que jamais, quoi qu’il arrive, l’un de ne prenne réellement le pas sur l’autre, un peu comme dans l’atmosphère ouatée de certains films de Sofia Coppola qui procure une étrange impression de détachement par rapport à ce qui se passe.
Si l’utilisation exclusive du crayon papier contribue à cette sensation d’irréalité, alors que ce n’est aucunement le cas, elle est aussi le fait d’une évolution graphique presque imperceptible - il convient de conserver la cohérence de l’ensemble - qui s’attache davantage à l’environnement des séquences, affiné avec le temps, perdant en épure au profit de quelque chose de plus dense. Ainsi une forêt de conifères vue des airs, un plancher posé en point de Hongrie, ou encore une table en bois vue d’en-dessous. Ainsi l’eau sombre et profonde d’une mare, à peine perturbée par d’éphémères ondulations qui ne font que précéder un retour à l’état initial des choses. De quoi laisser vagabonder son esprit, de quoi se perdre dans les méandres du roman de cette famille qui s’est disloquée avec le départ du fils prodigue (de ceux qui ne reviennent pas), à moins que ce ne soit bien avant, et la vie de poursuivre son cours, inexorablement.
Beau dans sa manière de s’attarder sur ce qui peut paraître insignifiant, de lui faire prendre sens, Frances semble avoir été orchestré pour le cinéma. Avis aux réalisateurs.