A
près la mort de son père, Frances est recueillie par Ada, sa tante, célibataire endurcie. Pour la fillette, le changement est rude. Perdre ses amis, laisser la campagne derrière elle pour partir à la ville, découvrir un appartement dans lequel vit aussi son grand-père, qui n'a plus toute sa tête, sont autant d'épreuves difficiles à surmonter. Puis il y a la voisine, qui passe beaucoup de temps avec Ada, et ses trois chiens féroces, deux cousines un peu chipies, qui profitent de ses faiblesses... Frances évolue parmi ces personnes qu'elle ne connaît pas, tente de trouver sa place, loin de son cocon rural. Curieusement, sa tante cherche aussi un peu de stabilité, essaie de faire valoir ses différences dans un environnement très conservateur. Ensemble, elles vont se battre, chacune à leur manière, afin de donner un sens à leur existence.
Frances est le deuxième album de Joanna Hellgren, jeune auteure suédoise, sorti en 2008 aux éditions Cambourakis, le premier étant Mon frère nocturne, sélectionné pour le festival d'Angoulême 2009. Dans ce premier épisode, elle renoue avec les thèmes de l'enfance et des conséquences d'un drame familial. L'histoire pourrait se dérouler dans une grande ville de Suède, dans les années 1930, mais ni le lieu, ni le moment ne semblent vraiment essentiels, tant les sujets abordés sont universels et intemporels.
L'ouvrage étonne par sa simplicité, mais aussi par la grande sensibilité qui s'en dégage. Il y a beaucoup de pudeur dans la narration, pas de pleur, pas d'emphase, mais des regards qui en disent long, des gestes évocateurs ou des mots qui blessent. L'auteure égrène au fil des pages une série d'indices qui permettent de reconstituer le puzzle d'une famillé éclatée par les événements. Beaucoup d'incompréhension ou de non-dits, de peur d'ébranler certains codes moraux, ont eu raison de l'amour fraternel. Le grand-père, proche de la fin de sa vie, rempli de fausses certitudes, n'est plus à même de resserrer les liens. Quant à Frances, la petite dernière, son arrivée dérange, bouscule les habitudes, contrarie les sorties nocturnes d'Ada, ravive les souvenirs douloureux.
L'album est aussi fortement chargé de symboles. L'arrivée de Frances dans son nouvel immeuble, par exemple, est marquée par l'hostilité de tous ses occupants : la voisine, trop occupée à écrire son nouveau roman, les chiens qui grognent, le grand-père qui ne la reconnaît pas, les cousines, malicieuses. C'est aussi l'occasion pour Joanna Hellgren de s'interroger sur les différents regards que l'on peut porter sur des événements similiaires. Il s'agit en l'occurence de ceux d'Ada et de sa nièce. Comment sont perçus la perte d'un être cher, les ravages de la vieillesse ou les comportements contraires aux bonnes mœurs ? Les femmes règnent en maîtresses sur le récit, se posent en véritables chefs de famille et les rares hommes présents jouent le rôle de faire-valoir, que ce soit le père de Frances, mort dans d'étranges circonstances, le paternel, sénile, ou le mari d'Anna, la sœur d'Ada, entièrement soumis à son épouse.
Le dessin, tout au crayon papier, joue avec les différents niveaux de gris. Il donne à chaque personnage une fragilité, renforcée par un trait plus ou moins appuyé. L'auteure parvient, avec un style très dépouillé, à faire passer un large panel d'émotions. La frange de Frances, par exemple, assombrissant une partie de son visage, traduit toute son anxiété, la peur de devoir affronter sa nouvelle vie.
Ce premier épisode de Frances traite avec retenue de sujets sensibles et difficiles. Il permet également d'introduire une galerie de personnages très attachants, dont le destin sera sans doute évoqué lors des prochains tomes. De cette association est née une jolie histoire, racontée de fort belle manière par une jeune suédoise, dont la sensibilité semble transparaître à chaque coin de page. Une réussite.