Aurélia Aurita avait fait très fort avec le premier tome de Fraise et Chocolat. Beaucoup d’humour, du romantisme, de la simplicité mais aussi une liberté de ton inédite jusqu’ici, le témoignage de la passion sexuelle d’une jeune femme des années 2000. Chenda Khun (le vrai patronyme de l’auteur) nous faisait partager la naissance de sa relation amoureuse avec un autre auteur de bandes-dessinées, Frédéric Boilet, de 20 ans son aîné.
Après une telle réussite, l’annonce d’une suite était accueillie avec réserve : que pouvait dire Aurélia de plus que ce qu’elle avait déjà dit ? Ou plutôt, arriverait-elle à être aussi pertinente en racontant la suite de son histoire ?
Acclamée par la critique, Aurita s’est sans doute laissée griser. La suite de Fraise et Chocolat compte 50 pages de plus et quelques autocongratulations un peu inutiles sur la qualité du premier jet. Un pêché d’orgueil qui ne porterait pas à conséquence si l’exploit était réédité. Or c’est la déception qui domine après la lecture de ce tome 2. Hélas, trois fois hélas.
Si le dessin est toujours aussi charmant, la narration a évolué. Les séquences courtes qui allaient droit à l’essentiel perdent du terrain au profit de situations plus scénarisées, les décors et les personnages secondaires font leur apparition (alors qu’ils étaient réduits à leur portion congrue) et surtout, le tout est extrêmement bavard. On y perd forcément en efficacité d’autant plus que la candeur s’est bien souvent transformée en mièvrerie.
Certains passages deviennent inutilement longs. On citera en exemple la visite du voisin (Yamada, comme dans le film) qui se plaint des bruits de chaises : 15 pages de gesticulations et d’onomatopées pénibles et répétitives (surement l’expérience sensorielle, la description de petits riens auxquelles il est fait référence dans la discussion avec la serveuse lesbienne quelques pages auparavant) qui, heureusement, introduisent les thèmes les plus touchants du livre. Les insultes et intimidations de Yamada font replonger Chenda dans ses souvenirs les plus douloureux et la font se confronter avec ses propres a priori. Car malgré tous ses défauts, la jeune auteur sait se remettre en cause et faire face à ses propres travers (jalousie, insécurité, mesquinerie…), une honnêteté qui est tout à son honneur.
Cette fois, l’aspect sexuel est relayé au second rang pour focaliser le récit sur l’évolution de la relation entre "Fraise" et "Chocolat". On pensait qu’elle avait fait le tour de la question la première fois mais c’était sous-estimer la gourmande qui, malheureusement cette fois et ce malgré sa sincérité, verse dans une surenchère un peu inutile (fist fucking, sex toys taillés dans des légumes…).
C’est donc le quotidien de la relation vu par l’œil de l’auteur qui est mis en avant, avec ses jalousies, ses prises de bec, ses angoisses. La différence d’âge qui sépare les amants pose "enfin" problème et les traumatismes de l’enfance de Chenda refont surface. Etrangement, la jeune femme émancipée du premier tome a laissé sa place à une gamine capricieuse qui n’évite plus les déclarations d’amour banales et les clichés amoureux. En fait, on est déçu de découvrir que Chenda n’est finalement qu’une femme comme les autres, loin de l’Amazone libertaire qui triomphait à la lecture du premier volume.
Mais Aurélia arrive à viser juste malgré tout. Même si elle réussit moins bien son introspection (puisque c’est surtout de cela dont il s’agit finalement) que son manifeste pour la liberté d’aimer aussi librement qu’on le désire, elle a toujours de bons moments, touchants de par la simplicité avec lesquels ils sont abordés. Ses expériences du racisme, sa confrontation à ses propres défauts et surtout sa peur de l’abandon arrivent à emporter le lecteur sur les dernières pages.
Petite déception donc que ces nouvelles aventures de Fraise et Chocolat. En abandonnant l’universalité du premier volume de son journal intime, Aurélia Aurita prenait le risque de perdre le lecteur en route. Avec Fraise et Chocolat 2, elle "démystifie" son personnage et se livre plus intimement qu’au travers ses frasques sexuelles. De la jeune femme forte et aventureuse, il ne reste globalement que quelques expériences débridées et c’est la petite fille fragile qui a besoin d’être aimée et rassurée qui prend le dessus.
Après l’excellente surprise du premier tome, Fraise et Chocolat prend un rythme de croisière plus classique, certes pas dénué d’intérêt malgré certains bavardages un peu agaçants, mais nettement moins percutant. Le journal intime est un genre risqué, Aurélia Aurita n’en évite cette fois pas les écueils.