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n 1880, à Pont-à-Mousson, le jeune héritier Charles-Eugène de Foucauld de Pontbriand dilapide sa fortune, en donnant de somptueuses fêtes pour ses camarades officiers. Mais le cœur n’y est pas. Il décline les avances des plus belles femmes, fume, boit et engraisse. Il s’ennuie. Trente-six années plus tard, au cœur de la Première Guerre mondiale, dans l’Algérie colonisée, il est devenu « le marabout ». Il vit dans le dénuement et vient en aide à la population locale. Mais sa présence dérange. Son altruisme n’abolit pas le fait qu’il est européen et catholique. Il a sauvé la vie de Kaocen, un chef rebelle local ; celui-ci en a fait son ami. Cependant, Ghebelli, qui s’oppose aussi à la présence française, est plus radical et promet de s’en débarrasser. Foucauld tente alors de se faire une place en un territoire où il n’a pas de légitimité, pris entre cultes différents, tensions politiques et ambitions personnelles. Il devra lutter aussi avec lui-même, écartelé entre le don de soi et l'orgueil de finir un jour en martyr.
Le prolifique Jean Dufaux (Complainte des landes perdues, Murena, Djinn ou encore Barracuda) propose ici un one-shot, au ton différent du reste de son œuvre. Comme il s’en explique dans sa préface, il n’ambitionne pas une biographie exhaustive, ni une simple hagiographie. Il redonne vie à un personnage historique, marginal dans son époque, qui trace son parcours dans des idéaux de fraternité et de réconciliation. Il prend des moments précis de l’existence de Foucauld pour mettre en valeur ce rapport au monde particulier. Le scénariste prétend vouloir éclairer un itinéraire qui fait d’un riche aristocrate désabusé un prêtre qui s’assigne lui-même une mission dans un milieu hostile.
C’est là que le bât blesse. Le véritable enjeu artistique de la mise en bande dessinée de ce destin aurait consisté à tenter de comprendre une évolution intellectuelle, spirituelle et matérielle contre toute logique, d’en dévoiler certains ressorts, d’émettre des hypothèses et d’imaginer les étapes d’un parcours individuel original. C’est justement tout cela que Dufaux balaie dans une monumentale ellipse de plus de trois décennies. Il demeure une histoire où l’auteur produit ce qu’il maîtrise, c’est-à-dire une trame aventureuse bien huilée, à contresens du projet énoncé et du personnage qu’il souhaite honorer.
Reste un album fort bien mis en image et en couleurs par Martin Jamar (Double masque, Vincent – Un saint au temps des Mousquetaires), qui porte des valeurs universelles auxquelles on ne peut que souscrire, mais, qui, affublé d'un dénouement et de péripéties convenus, passe à côté de ce qu’il aurait pu être avec plus d’audace.