Résumé: Pendant trois années, Carlos Spottorno et Guillermo Abril ont sillonné les frontières de l'Europe. À partir des 25 000 photographies et 15 carnets de notes rapportés, ils ont composé une « bande dessinée » faite de photos.
De l'Afrique à l'Arctique, les journalistes racontent: une rencontre avec les Africains du Gourougou, le sauvetage d'une embarcation au large des côtes lybiennes, l'exode des réfugiés à travers les Balkans, les manœuvres des chars de l'OTAN en face de la Biélorussie...
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arlos Spottorno et Guillermo Abril sont respectivement photographe et journaliste. Fin 2013, à la demande de la rédactrice en chef du journal espagnol El Pais Semanal, ils partent en reportage sur les frontières de l’Europe. Trois ans, 25.000 prises de vue et 15 carnets de notes plus tard, ils veulent raconter. Ils publient donc La Fissure, un ouvrage à l’esthétique inhabituelle, dans lequel les photographies, agencées comme des dessins, commentées par des textes concis, racontent une crise majeure du Vieux Continent.
Dans un premier temps, les deux reporters se rendent à Melilla, enclave espagnole au Maroc, en Thrace, région orientale de la Grèce côtoyant la Turquie et la Bulgarie, puis à Lampedusa, île italienne exposée à la Tunisie et la Libye. Invariablement, ils rencontrent des grilles, des barbelés, des camps, des forces armées, et surtout des migrants perdus aux visages marqués par la frayeur et l’interrogation. Ils se heurtent à des interdictions, à des mises en scènes et à la langue de bois des autorités. Ils comprennent qu’il n’y a pas une immigration homogène, mais une simultanéité de phénomènes migratoires : les jeunes Africains fuient la misère et le chômage, les Libyens les suites anarchiques du « Printemps arabe », les Afghans et les Pakistanais les affres d’un pouvoir islamique. Et puis, il y a les Syriens, toujours plus nombreux à quitter leur terre natale en cette année 2014, alors que Daech installe son califat et que la guerre civile s’intensifie. Ce flux ne fait pourtant que commencer.
Les deux auteurs font preuve d’audace. Elle est d’abord graphique. Après un traitement chromatique permettant d’harmoniser les couleurs et de leur donner une tonalité intemporelle, les images, ponctions de réel, sont agencées pour raconter des périples et fixer l’attente. Le sujet ensuite, dur, dérangeant, difficile à appréhender dans toutes ses ramifications. Enfin, le point de vue, objectif et neutre, ni engagé ni militant, oblige le lecteur à prendre en pleine face le côté insupportable des situations.
L’ensemble du documentaire est tiraillé entre mouvement et inertie, marche et arrêt, espoir et détention. Il oscille aussi entre textes législatifs incompréhensibles et volonté d’abolir les frontières, entre militaires lourdement armés et jeunes enfants ballottés, entre protectionnisme maladroit et apatrides naïfs. « Leurs rêves détruisent nos rêves » déclare le maire d’une localité hongroise frontalière, résumant le cynisme et la complexité de la situation.
Le périple se poursuit en Pologne, en Lituanie et en Finlande, auprès de migrants de l’ancien bloc de l’Est ou de soldats de l’O.T.A.N., américains ou canadiens, de retour sur les lieux d’une Guerre Froide que personne n’a oubliée. La Russie et les velléités expansionnistes de son dirigeant inquiètent également. L’Union Européenne n’a rien vu venir. Ses frontières et son fonctionnement se lézardent. La Fissure, implacable témoignage, expose et nous tire par la manche. Et maintenant ? Répondant à la question de savoir si un jour la Russie fera partie de l’U.E., un russe de Narva répond : « Un jour, toute l’U.E. fera partie de la Russie ! »