Info édition : Noté "Première édition".
Avec une jaquette. Sommaire : Livre 1 : "Les enfants ont grandi", chap. 1 à 10 (80 pl.) – Livre 2 : "Les Pays imaginaires", chap. 11 à 20 (80 pl.) – Livre 3 : "Le Grand et le Terrible", chap. 21 à 30 (80 pl.) – Chaque Livre est précédé de 2 illustrations : 1 en pleine page et 1 sur double page.
Résumé: Durant plus d'un siècle, Alice, Wendy et Dorothée nous ont guidés à travers le Pays des merveilles, le Pays imaginaire ou les contrées d'Oz de notre enfance. Depuis leurs voyages, ces trois "filles perdues" ont grandi et sont prêtes à nous emmener, une nouvelle fois, dans un autre monde, celui de l'éveil et de l'épanouissement sexuel. Toutes trois se rencontrent au hasard des couloirs d'un luxueux hôtel autrichien en 1913 ; elles y révèlent leurs désirs et leurs plus intimes expériences.
Q
ui ne connaît pas Alice du pays des Merveilles, Wendy et son voyage au pays imaginaire avec Peter Pan, ou Dorothée et son périple pour rencontrer le magicien d’Oz ? On se souvient de leurs cheveux sagement tressés, de leurs jupes plissées et de leurs socquettes. A l’aube du XXème siècle, alors que la première Guerre Mondiale couve, ce sont trois femmes faites qui se rencontrent au Himmelgarten, un hôtel de luxe situé au bord d’un lac autrichien. Au fil des jours, les belles se confient leurs histoires, dévoilant leurs secrets les plus intimes tout en profitant des charmes du lieu et des courbes généreuses de leurs corps, avec pour seuls témoins et complices les murs, miroirs ou lits qui les entourent.
A sa sortie l’année dernière, Filles perdues a provoqué le scandale et le lecteur comprend aisément pourquoi après quelques pages de lecture. Les aimables héroïnes de Lewis Carroll, James Matthew Barrie et L. Franck Baum, sont devenues, sous la plume d’Alan Moore (V pour Vendetta, From Hell, La ligue des Gentlemen extraordinaires), l’une, une vieille lady lesbienne toxicomane, l’autre, une épouse et mère frustrée, la troisième, une fille de ferme américaine simple, quelque peu vulgaire et ‘couche-toi-là’. Rien que cela peut faire froncer les sourcils des plus puritains. Les montrer se caresser, s’accoupler, s’adonner aux plaisirs de la chair dans une véritable débauche sexuelle ne manque pas de déranger même les plus aguerris.
Car le génial scénariste britannique écrit là une œuvre résolument pornographique. L’excès s’étale sur toutes les pages, croît sans cesse, jusqu’au trop-plein, à l’overdose. On peut ainsi dire que le récit à trois voix répond aux exigences du genre, de même que le schéma narratif s’en approche énormément. L’album est en effet composé en trois parties. L’éveil des sens lié à la rencontre et à la séduction – moment éminemment fondateur - est suivi par une sorte d’apogée, de plénitude, où les relations se multiplient, où l’expérience grandit, où l’imagination s’enflamme, comme celle de Wendy qui l’empêche de distinguer le rêve de la réalité. Ce deuxième volet s’achève sur l’assassinat de l’Archiduc d'Autriche, déclencheur de la Grande Guerre, qui sonne le glas de l'épisode de l’hôtel Himmelgarten peu à peu déserté. Cette fin de la Belle Epoque trouve un écho dans l’intrigue qui propose, dans sa dernière partie, une orgie gargantuesque et totalement décadente, une descente dans l’Enfer de la démesure. Le sommet orgasmique atteint précédemment vire alors au sordide à travers une bacchanale débridée, affranchie de tout tabou, et glisse lentement vers la déchéance. Sadomasochisme, inceste, viols répétés, usage des drogues dégoulinent sans discontinuer au point de dégoûter le lecteur qui ne peut en ingérer plus. Et si les langueurs du saphisme comme les ébats homosexuels, même les plus licencieux, passent bien, la gêne s’installe quand débutent les jeux de mains entre Wendy et ses frères ou lorsque l’Homme à la main crochue (comprenez le Capitaine Crochet) s’adonne à la pédophilie avec Peter… Sans parler du tendre penchant de Dorothy pour son paternel, inclinaison dont use l’intéressé… Bien qu’existante, la condamnation de ces pratiques est à peine esquissée, trop vite laissée de côté, et on pourrait le reprocher à Moore. En revanche, il souligne expressément et à l’envi l’hypocrisie qui entoure la sexualité, comme celle du mari de Wendy qui trouve rapidement de quoi se satisfaire auprès du séduisant Rolf après avoir vilipendé le lesbianisme d’Alice.
Mais Filles perdues n’est pas seulement une bande dessinée pornographique, c’est également un album qui entraîne dans une grande jouissance intellectuelle, amenée aussi subtilement qu’elle est parfaitement construite. D’une part, chacun des personnages contenus dans les textes de Carroll, Barrie et Baum est reconnaissable et identifiable dans son propre rôle : depuis l’ami pressé du père d’Alice qui abuse d’elle, jusqu’au géniteur de Dorothy, Magicien (d’Oz) tout puissant hors de son foyer, en passant par le Chapelier Fou, le Lion Peureux, la jalouse Clochette et les Enfants Perdus. D’autre part, les références distillées par Alan Moore stimulent le lecteur, titillent ses sens, à travers le « Livre Blanc », aux aspects de Bible, authentique compilation de textes du régent de l’hôtel, Monsieur Rougeur, qu’il signe du nom d’auteurs célèbres. Ainsi invente-t-il un nouveau passage au Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde – figure homosexuelle bien connue – qu’il accompagne de peintures du non moins sulfureux Egon Schiele. De même offre-t-il sa version un peu revue de L'Histoire de Vénus et Tannhaüsser d’Aubrey Beardsley, rééditée l’an passé chez Viviane Hamy.
Pour donner vie à cette histoire étonnante et singulière, Moore a choisi pour complice son épouse, Melinda Gebbie. Son dessin naïf explore d’infinies possibilités et répond aux diverses voix des héroïnes par autant de styles différents essentiellement dans la composition mais également un peu dans le trait. Les aventures d’Alice s’installent dans des ovales qui leur donnent un côté suranné, tout en évoquant par leur forme le sexe féminin. Celles de Wendy se déclinent dans trois cases verticales dressées comme des phallus, chapeautées de scènes longitudinales en ombres chinoises, et entourées de noir. Enfin, celles de Dorothy se présentent en trois bandes horizontales, de même que la jeune femme qui passe son temps couchée sous un homme. Quant aux pages narratives, si les cases s’arrondissent dans un passage d’inspiration Art Nouveau, leur découpage reste cependant plutôt classique. Les couleurs, quelquefois peu heureuses, créent des atmosphères singulières qui s’harmonisent intelligemment avec l’ensemble. Notons que dans la galerie de sexes rouges qui peuplent ces pages, seuls les rares passages en noirs et blancs s’avèrent posséder l’essence érotique nécessaire à l’éclosion du désir, le reste se regardant sans créer d'excitation particulière.
Filles perdues suscite avec raison la curiosité, émoustille davantage l’intellect que la chair et commence brillamment pour s’alourdir par la suite avant de conduire à un final à la (dé)mesure des principales protagonistes. Une œuvre des plus intéressantes mais difficile à juger.
Les avis
willybouze
Le 28/07/2012 à 11:59:47
Bien sûr, il faut avoir l'esprit assez ouvert pour aborder ce pavé érotico-pornographique qui revisite les grands classiques des contes enfantins anglophones.
Trois héroïnes de contes nous narrent leur aventures de jeunesse et la construction de leur sexualité sur fond de la guerre qui se fait plus pressante. Leur rencontre impromptue dans un hôtel se mue rapidement en recherche de plaisirs divers, avec ou sans leurs conjoints. C'est aussi l'occasion pour elles de parler de leurs premiers émois sexuels. Puis la guerre se déclare, les hommes partent, laissant d'abord les filles avec le personnel de l'hôtel. Dans un 3ème temps, l'hôtel est déserté et les héroïnes, laissées seules, se livrent aux joies du plaisir saphique en poussant de plus en plus loin les confidences intimes.
Rien ne nous est épargné : la zoophilie, l'inceste à tous les âges de la famille, le sexe à plusieurs,...
Mais le thème est traité avec subtilité et révèle les fantasmes les plus secrets de chacun, avec tact et sans jugement. La relation interpersonnelle est au centre de tout le bouquin, même si tout est vu à travers le prisme du sexe.
Les dessins sont magnifiques, pas excessivement réalistes (les sexes des hommes ont de drôles de formes...), avec des couleurs somptueuses. Le tout est servi par une édition très agréable, même si le livre est assez lourd pour être lu couché.
Pour tout érotomane plus ou moins avoué, ce livre est donc un petit bijou qui ne vous laissera pas indifférent et qui mérite largement d'être lu et relu.
herve26
Le 05/11/2011 à 15:38:17
Avant tout, on ne peut que saluer les éditions Delcourt d'avoir, premièrement eu le courage, enfin, de sortir ce bouquin, et deuxièmement, d'avoir réalisé là un très bel objet éditorial (certes différent de la version originale, je regrette juste la traduction du titre qui certes est littéralement exacte, mais perd de son charme en français- et puis on ne traduit pas les titres d'Alan Moore, que diable!)).
J'ai eu un peu de mal à débuter ce nouveau pavé signé Alan Moore et à véritablement entrer dans l'histoire.
Jusqu'à la rencontre entre les trois principales protagonistes, j'avoue ne pas avoir saisi l'intérêt d'un tel livre.
Mais dès cette rencontre, tout se met en place.
Conçu comme un échiquier -chaque chapitre est d'ailleurs constitué de 8 pages- où chacune avance ses pièces (en racontant sa propre histoire), ce conte pour adultes (ah, j'oubliais, ce livre -pour ceux qui ne l'ont pas encore ouvert- est franchement pornographique : pédophilie, zoophilie, inceste etc. s'y côtoient) est superbement illustré (et ceci, malgré ces critiques vues ici ou là sur la qualité graphique de cette bande dessinée).
En revisitant, de façon osée et personnelle, trois contes pour enfants, Alan Moore et Melinda Gebbie nous offrent là une oeuvre de qualité, que je relirai, quant à moi, certainement.
Alan Moore a toujours réussi à nous surprendre en optant à chaque fois pour des thèmes forts et percutants, avec From Hell (mon préféré), V pour Vendetta ou encore Watchmen, et là il y réussit grandement.
rorschach
Le 11/06/2008 à 22:45:40
Attention ceci est une oeuvre à ne pas mettre entre toutes les mains. Alan Moore signe là un ouvrage dense et complexe qui sans aucun doute possible ne fera pas l'unanimité tant il touche notre intimité, nos fantasmes, nos tabous, notre part d'ombre.
" Filles Perdues" est avant tout pornographique et le contraste entre le trait naïf
de Melinda Gebbie et l'obscenité des scènes le font d'autant plus ressortir.
Cependant là où nombreux sont ceux qui aurait échoué sur les écueils de la vulgarité et de la vacuité, Alan Moore, lui, nous emmène sur les chemins tortueux de la concupiscence et du désir, de cette part cachée dont ce nourrit notre imaginaire qu'est le fantasme.
Parfait équilibriste il flirt sans cesse entre la réalité et l'imaginaire, sur l'apparent et le sous jacent. En effet chaque chapitre est découpé en deux niveaux de lecture. Parfois de façon évidente tel un récit dans le récit, ou bien encore de façon plus subtil comme l'ombre des personnages ou bien encore à travers un miroir.
Tel une véritable psychanalyse des contes de 3 fées, il nous offre un autre regard sur 3 héroïnes populaires. Un regard sans concession, sans tabous, où certaines perversités présentées vous seront sans aucun doute gênante, voire choquante.
Et c'est exactement ce que cherche à provoquer en vous Alan Moore.
Incroyable génie, il réussi, alors, le tour de force de réaliser une mise en abyme du lecteur en le rappelant à différencier la réalité de l'imaginaire.
Chef d'oeuvre pornographique, brillant, intelligent. Il rappelle à tous que l'essence même du libertinage est avant tout la libre pensée.