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uatre frères sous le même toit pendant l’Occupation et autant de parcours différents : du drame personnel qui donne la force et surtout octroie l’inconscience à ceux qui n’ont plus rien à perdre, en passant par la majorité qui compose avec l’air du temps, pour aller jusqu’à ceux pour lesquels la vie continue malgré tout. Mai 1944, le venin de la rancœur, favorisé par la précarité et l’absence de perspectives après plus de cinq années de guerre, s’est pleinement distillé dans la maison familiale. Lucienne, la femme de Serge « celui qui a réussi », attend un enfant, elle est l’une des pièces rapportées dans ce conflit interne. Le couple travaille dans un laboratoire avec Jürgen, un Allemand avec lequel ils se sont liés d’amitié. En cette période où les bruits d’une arrivée imminente des Alliés se propagent, certaines relations sont à proscrire.
Sujet délicat qui, s’il n’a plus grand chose de tabou en apparence aujourd’hui, conserve néanmoins par bien des aspects un voile opaque bien difficile à lever avec objectivité de manière individuelle, chacun ayant sa propre vérité. C’est l’un des thèmes de ce récit : la réalité des uns n’est pas celle des autres, l’influence du passé de chacun pèse lourd dans la balance des choix ou quand la culture prend le pas sur la nature. Le dessin d’Arnü West retranscrit avec justesse la violence sourde des longs silences, inhérents à une atmosphère oppressante, plombés par des regards lourds de sous-entendus. De subtils détails laissent planer tout le paradoxe ambiant, comme ce portrait du maréchal Pétain, placé telle une icône à côté d’un crucifix auquel la mère de cette fratrie demande protection.
Sylvain Ricard s’était déjà essayé avec réussite à traquer les travers de l’Histoire dans Kuklos où il avait traité avec un certain recul de l’itinéraire d’un homme bercé dès sa naissance dans le giron du Ku Klux Klan. Dans un esprit similaire qui consiste à ne pas juger mais à décrire, les auteurs de Fille de rien amènent les raisons de chacun au fur et à mesure de la narration. Si le scénario est bien ficelé, il est cependant possible de regretter qu’il n’aille pas plus au fond des choses, ainsi que le manque d’épaisseur de certains protagonistes. Serge, idéaliste et naïf, n’en est pas moins le personnage charismatique par excellence, peut-être trop. N’aurait-il pas été pertinent d’en faire un homme plus ambigu dont la part négative aurait apporté de tout autres éléments de réflexion au lecteur ?
Quant à Lucienne, elle subit les événements avec résignation. Son existence qui se voit brutalement brisée pourrait faire l’objet d’une suite des plus intéressantes.
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Les avis
Erik67
Le 01/09/2020 à 13:13:28
J'ai beaucoup apprécié cette lecture d'une période historique que notre pays a su vite oublier pour ne garder que les exaltations de la victoire. Sitôt la France libérée, ses habitants se sont livrés à des exactions de la pire espèce sans aucune forme de procès légitime. Il n'y a rien de pire que la vindicte populaire ! Certes, il y aura toujours des gens pour reprocher qu'ils n'ont pas eu également de procès face à l'envahisseur allemand. Bref, on se laisse gagner par la haine et la vengeance au point d'en devenir totalement aveugle. J'ose un jugement de valeur même si je suis né bien après cette guerre. Est-ce déplacé ? Je ne le pense pas.
Cependant, une situation n'est jamais simple surtout en temps de guerre. En cette époque troublée, l'amalgame était vite fait. Je ne suis pas certain que cela recommencerait aujourd'hui car j'ose espérer que le peuple a fait preuve de maturité depuis cette époque. Quoique j'en doute quelques fois...
Je félicite les auteurs d'avoir osé nous montrer une certaine vérité et nous donner des éclaircissements sur cette période où les femmes étaient tondues et les hommes fusillés sans aucun ménagement pour avoir collaboré avec l'ennemi. Quand on sait que 90% de l'administration française sous Pétain est restée en place sous de Gaulle, il y a quand même de quoi s'interroger. Bref, ce ne sont pas toujours les mauvais qui doivent payer l'addition en reprenant une expression employée par un résistant dans l'album en question.
Une lecture en tout cas utile pour ceux qui veulent sortir de la pensée unique ou de toute forme de manichéisme. Comme le souligne l'auteur au niveau de sa narration, c'est un drame qui n'est peut-être pas grand chose au regard de celui des familles de déportés mais cela demeure un grand gâchis quand même.
je dis -M-
Le 30/08/2007 à 15:09:20
L'histoire se situe à la fin de la 2e guerre mondiale. Le sujet traité est assez délicat : l'occupation allemande dans les années 40 et les injustices commises lors de la libération.
Par le biais d'une famille française déchirée par l'occupation allemande, l'auteur nous plonge dans cette époque tourmentée. L'histoire est simple, racontée sans trémolos mais avec une poignante vérité.
Le dessin est axé sur les personnages et plus particulièrement les visages.
Je recommande cet album, il parle de la seconde guerre mondiale sous un angle peu commun.