Résumé: « TAC ! TAC ! BAOUM ! BAOUM ! Les coups de fusils, la canonnade autour de moi. Partout ça crépite et ça roule, longues rafales et coups séparés. Sombre et flamboyant orage qui ne cesse jamais. Je suis enterré au fond d’un éternel champ de bataille. Depuis quinze mois, depuis mille cinq cents jours, du soir au matin sans repos, du matin au soir sans répit. La fusillade, le bombardement ne s’arrêtent pas. Comme le TIC-TAC des horloges de nos maisons, aux temps d’autrefois, dans le passé quasi légendaire. On n’entend que cela lorsqu’on écoute. TAC ! TAC ! BAOUM ! BAOUM ! »
L’horreur de la Première Guerre mondiale transposée dans le camp ennemi, c’est ce que Joe Pinelli tente de nous faire toucher du doigt en adaptant du côté allemand Le Feu, d’Henri Barbusse, écrivain qui a servi dans les tranchées.
C
’est l’histoire d’une nuit dans une tranchée allemande. En fait, c’est plutôt l’histoire de militaires qui cherchent un abri car ils n’ont plus de tranchée. Ils se trouvent par moments sous le feu des Français, mais fondamentalement, leur principal ennemi demeure les intempéries. L’eau se mélange à tout, à la terre, aux vivants et aux cadavres. Faute d’un meilleur plan, les soldats avancent, le jour finira bien par arriver, ce sera ça de pris. La chair à canon se contente de peu.
Das Feuer est l’adaptation de Le Feu, un roman d’Henri Barbusse qui a remporté le prix Goncourt en 1916. Patrick Pécherot en propose une transposition très littéraire avec peu de dialogues. Un narrateur raconte la guerre, raconte sa guerre. Il explique, dans le détail, minute par minute, ce qu’il vit, puis émaille son texte de statistiques : treize millions deux cent vingt mille hommes mobilisés, un million cent cinquante-deux mille huit cents prisonniers, quatre millions deux cent mille et cinquante-huit blessés, sans oublier deux millions trente-trois mille sept cents morts et disparus. Des chiffres impressionnants présentés en parallèle avec des portraits de conscrits. Celui de Kropp, quarante ans, de Wolf, le pharmacien ou de Katczinsky, le métayer. Mais l’écrivain les occulte aussitôt. Un appelé n’a pas d’identité, il se fond dans la masse. La douleur des troufions est tangible, il aurait pu la nommer, mais il choisit de donner au bédéphile toutes les indications pour qu’il la ressente lui-même. Il n’hésite d’ailleurs pas à se taire pour laisser toute la place au silence et aux illustrations.
Le dessin en noir et blanc de Joe Pinelli se révèle lui aussi terrifiant. Les cases d’inspiration expressionniste se suivent et se ressemblent. Dans leurs fuites vers l’avant, le lecteur et les combattants verront la même chose : du désespoir, de la violence, des cadavres et une pluie omniprésente. Cette dernière est représentée par des lignes verticales qui contrastent brutalement avec les élégantes arabesques qui évoquent les champs de boue et tout ce qui se cache en-dessous. Et c’est terrible.
C’est l’histoire d’une nuit dans une tranchée allemande, mais faut-il rappeler que la Première Guerre a duré 1562 jours et autant de nuits.