Résumé: Véritable ode à la culture orale, cette bande dessinée chorale et foisonnante invite le lecteur à partager la vie des habitants de la Casbah, quartier populaire des hauteurs d’Alger où pauvreté et débrouillardise côtoient au quotidien les ragots et les médisances colportés à propos des uns et des autres.
Au centre des rumeurs, une femme mystérieuse qui habite une vieille maison couverte de parapluies et devenue objet de crainte et de fascination : Fatma N’Parapluie. Excentrique et indéchiffrable, elle inspire la terreur des enfants et les moqueries des adultes. Audacieuse et effrontée, elle franchit aussi bien les portes des maisons pour partager les histoires des autres femmes que celles des cafés réservés aux hommes, sans hésiter à leur tenir tête.
Mais comment échapper aux mauvaises langues quand on transgresse ainsi les frontières qui séparent l’univers masculin du monde féminin ? Comment ne pas devenir folle sous le regard vigilant et omniprésent des habitants du quartier ?
Premier tome d’un diptyque haut en couleur.
C
asbah d’Alger, années quarante. Chaque matin, les ruelles reprennent vie et chacun vaque à ses activités sous les yeux des commères. Dans ce microcosme urbain, tout se voit et tout se sait ; il vaut alors mieux filer droit si on ne veut pas devenir le sujet de conversation du jour. Lalla Houm a veillé tard dans sa cuisine. Qu’est-ce que cette vieille sorcière a encore préparé ? Et voilà Fatma n’parapluie qui sort de chez elle, quel genre celle-là avec ses beaux habits et ses manières distinguées. Elle ne va quand même pas entrer dans le café !? Si ! Viens vite voir ce qui va se passer.
Album choral rempli de tendresses et de piques, Fatma au parapluie plonge le lecteur dans un univers profondément humain et donc contrasté. En effet, tout n’est pas rose à l’ombre de la citadelle et Soumeya Ouarezki ne cache rien des travers de cette société faite de règles et de tabous. Les femmes ont souvent des langues de vipères et les hommes la main leste pour imposer leurs prétendues supériorité. Les bons et les mauvais moments habillent et donnent une réelle profondeur à cet instantané à la patine à peine surannée. Entre souvenirs d’une époque pas si lointaine et critique sociale, la scénariste détaille avec beaucoup d’amour ces anecdotes basées sur des racontars familiaux. Malicieuse, elle parvient même à clore l’ouvrage avec un cliffhanger promettant de lever le voile sur les origines de cette mystérieuse dame en tailleur chic.
Dessin au trait charbonneux façon Ronald Searle, Mahmoud Benamar illustre ce récit d’une façon très expressive et puissante, mais un peu statique. Le résultat manque drastiquement de mouvement. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Malheureusement, la sur-utilisation de scènes en super-grand-angle façon œil de poisson rendent les planches difficiles à détailler tant l’image « tangue ». À part pour ce défaut, la copie s'avère intéressante, très personnelle, et éloignée des stéréotypes graphiques habituellement réservés pour dépeindre l’Afrique du Nord.
Rare BD algérienne à apparaître sur les tablettes, Fatma au parapluie est une lecture généreuse offrant un joli contraste aux Cahiers d’Orient chers à Jacques Ferrandez. À découvrir.