Résumé: Pour ce récit de bande dessinée documentaire, Laure Marchand, Guillaume Perrier et Thomas Azuèlos ont suivi le voyage de Christian Varoujan Artin, depuis Marseille jusqu'en Turquie, sur les traces de sa famille. Varoujan est une personnalité de la communauté arménienne de Marseille parce qu'il dirige un important centre de mémoire sur la diaspora Arménienne dédié à la reconnaissance du génocide. Avant 2014, Varoujan n'avait jamais envisagé d'aller en Turquie, au risque de " piétiner les ossements de ses ancêtres ". Le voyage jusqu'à cet " Auschwitz à ciel ouvert " représentait donc un enjeu très fort pour lui et pour sa femme, Brigitte Balian, qui l'accompagnait.
Mais ce n'était pas seulement un pèlerinage.
Varoujan et Brigitte ont également rencontré les descendants des Arméniens qui ont réchappé au massacre et sont restés en Turquie en 1915.
Car aujourd'hui ces Arméniens kurdes, turques, alévis, musulmans, sortent de l'ombre, racontent leurs histoires et aspirent à retrouver une identité perdue.
Q
uatre-vingt dix-neuf ans après, Varoujan Artin et son épouse Brigitte débarquent en Turquie pour participer à une exposition de photos d'identité des survivants du génocide. Ce sera l'occasion pour eux de partir sur les traces de leurs aïeux.
Pourquoi ? Pourquoi un pouvoir politique décide-t-il d’éradiquer tout un peuple, de détruire sa culture et sa mémoire, d'en effacer les moindres traces ? Cette interrogation imprègne chaque page du livre. La question arménienne est posée en 1878, suite au projet de partitionnement de l'Empire Ottoman qui aboutit entre autres à l'indépendance de la Serbie et de la Roumanie. Une partie de l'Arménie devant être absorbée par la Russie et l'autre réformée, l'Angleterre s'y oppose et obtient Chypre en cadeau. En 1879, le Grand Vizir scelle le sort de ce peuple chrétien qui réclame l'autonomie par ce discours : " Nous, Turcs et Anglais, non seulement nous méconnaissons le mot Arménie, mais encore nous briserons la mâchoire de ceux qui prononceront ce nom. Aussi, pour assurer l’avenir, dans ce but sacré, la raison d’état exige que tous les éléments suspects disparaissent. Nous supprimerons donc et ferons disparaître à jamais le peuple arménien. " Entre 1878 et 1914, un million d'arméniens ont disparu du sol turc, 1915 n'est in fine que la catharsis d'un long processus d'anéantissement généré par la peur de voir l’État imploser. Voilà pour le contexte, mais cet ouvrage n'en parle pas, il évite de se rendre sur le terrain de l'Histoire et reste dans le mémoriel : il dresse le triste bilan d'une Turquie actuelle entre négationnisme d’État et réaffirmations identitaires. Longtemps traqués, cachés, les descendants se réapproprient doucement leur mémoire.
Que reste-t-il donc presque cent ans plus tard des deux millions d'arméniens de l'Empire Ottoman? Le Fantôme Arménien porte bien son titre, il n'en subsiste que des traces : villages fantômes, quelques bas-reliefs encastrés dans de nouvelles maisons, des églises grimées en mosquées, des moutons de pierre oubliés sur des collines, les souvenirs troubles des anciens, des mots épars, des prénoms masqués, les lieux d’exécution balayés par le vent. Tout laisse une impression d'irréel malgré le spectre du drame qui rôde sur les terres brûlées par le soleil. Même l'humour emprunte au déni : "mon grand père est parti en vacances sur la côte d'azur". Prise dans le jeu des querelles entre les grandes nations, et parce qu'elle représentait un ennemi intérieur dans un Empire en décomposition, l'Arménie a payé très cher son souhait d'autonomie. Une sorte de Delenda Carthago, une solution définitive contre une entité hostile et dangereuse ou perçue comme telle. Et malgré le temps, la colère du Grand Vizir ottoman semble encore planer : "Nous ferons disparaître..." et ce, jusqu'à la mémoire du génocide, créant une sorte de schizophrénie des mémoires, une honte collective des bourreaux comme des victimes. Le graphisme accentue ce décalage et rend justement compte du poids de la chape de plomb. Avec ses paysages paisibles, ses couleurs chaudes, il restitue une ambiance apaisée, une escapade estivale et exotique qui tranche avec le récit des exactions. Il est difficile de croire à ce qui s'est passé et la lutte des combattants pour la vérité semble perdue depuis longtemps. D'abord la reconnaissance, mais ensuite ? Est-il possible de restaurer une culture arménienne là où elle fut détruite ?
Opportun au moment du centenaire du massacre, le Fantôme Arménien collecte sous forme de road movie les preuves de l'existence d'un peuple condamné à l'oubli. Plus que des réponses, elle génère foule de questions et incite à creuser autour de cet événement souvent omis du récit de la Première Guerre Mondiale.
Les avis
Erik67
Le 30/08/2020 à 22:04:37
Cela ne sera pas une œuvre qu’on retiendra pour sa partie graphique assez sommaire. Le dessin n’est pas très élégant mais il reste tout à fait correct au niveau de l’illustration. Il est vrai que c’est un peu une constante dans les bd documentaires qui axent plutôt sur le fond.
Le fantôme arménien nous entraine dans le périple qu’effectue un couple de descendants en Turquie à l’occasion du 99ème anniversaire de ce tristement génocide qui divise. La Turquie nie farouchement et n’arrive pas à retrouver la paix intérieure. L’ennemi vient toujours de l’intérieur et il faut le chasser et l’éradiquer surtout s’il s’agit d’une autre culture ou d’une autre religion. Ce qui est vrai pour cet Etat est également vrai pour d’autres. C’est un retour assez douloureux pour ce couple marseillais qui va dresser simplement un état des lieux sans jugement hâtif.
On apprendra que l’économie s’est effondrée suite à ce génocide car les arméniens étaient assez réputés pour leur négoce et leur savoir-faire en matière artisanale. Y avait-il une certaine forme de jalousie ? On a pu observer également le même phénomène avec les Juifs lorsque les nazis les ont exterminés en s’appropriant également leurs avoirs. Bref, ces conséquences économiques sont encore palpables de nos jours dans ces régions reculés et pauvres de la Turquie et autrefois prospères.
La bd évoque également des aspects qui j’ignorais notamment sur le rôle un peu fourbe des kurdes dans l’exécution de ces populations. Malheureusement pour eux, le fait d’avoir collaboré ne les pas vraiment aider par la suite car ils sont également devenus des victimes d’un régime hégémonique voulant gommer toute différence au nom d’une préférence nationale ou d’une religion d’état.
La laïcité prônée par Atatürk n’a été qu’un leurre. Aujourd’hui encore, nous avons un président qi déclare à la presse que l’égalité homme-femme est un concept contre nature. Mais bon, il prône un islam dit modéré. Je ne parlerais pas de son soutien indirect avec l’obscurantisme en descendant par exemple un chasseur allié qui ne semblait pas menacé l’intégrité de leur territoire. Alexandre le Grand se retournerait dans sa tombe s’il savait.
Cette œuvre n’oppose pas un peuple contre un autre car il reconnait la place des Justes à savoir par exemple ces fonctionnaires turques qui se sont opposés à la déportation et qui l’ont payé de leur vie. Cela relate de faits mais sans entrer trop dans le détail ce que d’autres œuvres sur le sujets nous ont déjà apporté comme Medz Yeghern : Le grand mal ou encore Le Cahier à fleurs.
Elle insiste également sur le fait que les descendants sur place ont du se fondre dans des mariages forcés ou l’islamisme. Je dirai que ceux qui ont pu fuir se sont également fondus aux Etats qui les ont accueillis comme la France ou les USA. On apprendra grâce à cette bd que 10% des marseillais ont une origine arménienne. Se fondre de force ou volontairement au point de perdre sa culture originelle et son identité. J’arrive parfaitement à ressentir tout cela au travers de ces témoignages poignants.
Il ne faut pas rester figer sur la mémoire mais vivre sa vie et tourner enfin la page. Il serait temps près de 100 après. Je peux cependant comprendre la volonté de ce couple de collecter des preuves d’un peuple condamné à l’oubli et à l’exil. En tout cas, un très beau regard que propose cette œuvre sur l’identité arménienne pour peu qu’on soit réceptif aux drames et aux espérances de peuples lointains. Un beau moment d’humanisme en tous les cas.