V
éritable marché de niche, il est acquis que la bande dessinée à destination des adultes a perdu ses lettres de noblesse. Désormais, l’érotisme se propage dans l’ensemble des productions, des grandes séries à succès aux contributions les plus intimistes. La pudibonderie d’apparence permet alors, par un jeu de cadrages, de noyer le sexe dans une image de la sensualité. Elle offre également à la nudité d’une Pin-up hypersexuée un écrin moins transgressif qu’une bible de Tijuana ou qu’un eight-pagers. Pourtant, la demande est particulièrement vigoureuse. En ce sens, la collection Hachette Les Grands Classiques de la bande dessinée érotique a été portée à cent soixante numéros (contre quatre-vingt-six prévus à l’origine). La maison Glénat a, quant à elle, fait paraître en quelques mois trois albums licencieux (La Sève, Gaijin et Niala). Enfin, la troisième compilation des Fantasmes de Stéfano Mazzotti a ranimé le label Erotix des éditions Delcourt, en veille depuis la sortie, à l’été 2018, de Pour la peau de Deloupy et de Sandrine Saint-Marc.
Sous-titré Les jeux interdits, ce recueil est composé de onze historiettes assez inégales qui contreviennent évidemment aux bonnes mœurs. L’artiste transalpin y aborde le désir par un biais de narration, à savoir les songes. Il explique donc le basculement psychologique avant la montée en tension de ses acteurs, et parfois même pendant les ébats. Les saynètes les moins réussies correspondent alors à celles où les héros se confessent de sulfureuses pensées avec bien trop de faconde. Afin de varier les plaisirs, l’auteur dépeint diverses pulsions inavouables (l’exhibitionnisme, le voyeurisme, la jalousie, la vengeance). Il sillonne aussi des périodes historiques distinctes (la région de Romagne en 1850, la contre-révolution vendéenne et les centres-villes européens de la fin des années 70-80), ainsi que des lieux confinés ou il laisse libre cours à son imagination débridée (avions, voiture, club ou salle d’attente d’un praticien).
Au gré de ce corpus, Stefano Mazzotti embrasse pleinement l’obscénité, se baladant aux antipodes de son approche graphique pour les Mémoires de Casanova. D’un trait réaliste, il croque les corps dans des positions lascives et agence ses planches de manière à resserrer ses plans sur des visages déformés de jouissance autant que sur des attributs dignement tendus. Les scènes d’accouplement sont éminemment explicites et limitent la profusion de cases. Du petit râblé au grand élancé, de l’imberbe au moustachu, les hommes sont déclinés sous tous leurs atours. À l’inverse, les personnages féminins n’ont qu’une silhouette – taille fine et poitrine généreuse. Bien entendu, l’illustrateur nuance la couleur des cheveux, des yeux, la coupe, les expressions ou les vêtements. Toutefois, la représentation d’une unique stature sert les détracteurs du genre qui n’y voient que l’exploitation de la femme-objet. Une orientation figurative davantage dommageable puisque le propos porte sur les tentations inconscientes, injustifiées et, par définition, versatiles à l’envi.
Peu importe ce bémol, soutenez le renouveau du neuvième Art ouvertement érotico-pornographique et agrémentez l’Enfer de votre bibliothèque d’illustrations peu chastes, en rangeant parmi vos livres libertins, Fantasmes, les jeux interdits. Au passage, la température risque de monter dans vos chaumières au point d’en faire suer votre table de chevet !