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mployé dans une usine d’armement d’un pays totalitaire, un ouvrier recueille le fils d’un musicien qui vient d’être arrêté et le cache sur son lieu de travail. L’enfant souffrant d’être confiné dans un environnement limité aux rouages et aux bruits des machines, son protecteur brave les interdits et lui apporte de quoi éveiller sa sensibilité affective et faire courir son imagination…
Dotés de six doigts, signe discriminatoire à l’instar de la croix jaune des juifs ou du triangle rose des homosexuels sous le régime nazi, les diffuseurs d’expressions culturelles et les artistes sont pourchassés par la police du pouvoir. Les musiciens et les libraires sont arrêtés. Les instruments de musique et les livres confisqués ou brûlés. Mais si tout Etat totalitaire engendre sont lot de dénonciateurs, de collaborateurs et de propagandistes, il se trouve toujours quelques individus prêts à franchir le pas de la désobéissance et à se mettre en danger. Est-ce une affaire de circonstances ? Si, dans ce qui pourrait être considéré comme la première partie de l’ouvrage, Nicolas Presl décrit parfaitement le contexte politique dans lequel se déroule l’histoire, à l’issue de la deuxième séquence la question reste posée. Car, les livres et le pipeau que l’homme a récupérés, et qu’il donne à son protégé dans le seul but de le distraire, engendrent un désastre qu’il n’avait pas envisagé. Faut-il y voir un message sur le pouvoir de la Culture, sur la différence des effets qu’elle peut produire sur les individus en fonction de leur âge ou de leur degré de sensibilité ? Toute lecture par des enfants doit-elle être accompagnée ? La Culture s’impose-t-elle à l’homme, quelle que soient les situations ? Est-elle indissociable de la notion de liberté ? Il reste une évidence : le totalitarisme mène toujours au conflit militaire.
Ni mot, ni onomatopée, et pourtant la lecture est limpide. Le trait est expressif et le graphisme, très particulier, peut se faire anguleux ou s’adoucir en fonction des émotions qu’il doit faire passer. Le découpage en paragraphes courts permet de respirer et de bien assimiler ce qui précède.
Troisième ouvrage de Nicolas Presl paru chez Atrabile, Fabrica évoque le totalitarisme et démontre, une fois encore, les qualités narratives et expressives d’un auteur incontournable de la bande dessinée muette.