Résumé: 1944, Brooklyn.
Un enfant est kidnappé par le croquemitaine qui l’emmène dans un royaume mystérieux nommé l’Obscur. Conscients de cette disparition, les jouets du jeune garçon décident alors de partir pour ce monde inconnu afin de sauver leur petit maître. À leur arrivée, ils se trouvent réincarnés dans leur propre personnage beaucoup plus réaliste : l’ours en peluche devient un animal féroce, le soldat de plomb un as de la stratégie militaire, le bouffon dans sa boîte un acrobate maniant parfaitement la hache… Sous ces nouvelles apparences, ils se lancent dans un combat éperdu contre les armées du croquemitaine.
B
rooklyn, 1944, un jeune garçon dort paisiblement avec son chien dans sa chambre silencieuse, entouré de ses joujoux favoris. Un calme absolu semble régner… Soudain, un grincement, du placard une ombre sort, s’étire, un ours en peluche fend les airs, le chiot réveillé est muselé par l’apparition, de noirs tentacules agrippent l’enfant, pour l’entrainer inexorablement vers les ténèbres, sous les regards impuissants de ses compagnons tétanisés. Le Croquemitaine vient de prendre une nouvelle victime pour assouvir quelque sinistre dessein, là-bas, dans l’effrayant Pays Obscur qu’il régente, ce domaine où les jouets abandonnés par des gamins trop vite grandis ont prêté allégeance au despote du lieu.
La riposte s’organise, sous l’impulsion du Colonel, un soldat de plomb plein de courage et d’abnégation, et, bientôt, une équipe de volontaires s’embarque pour le Pays Obscur, à la rescousse du disparu. Il y a là Maxwell, l’ourson favori du garçonnet, Princesse, la jeune squaw, Percy, le cochon tirelire, Quackers, le canard à roulettes, Bouffon, le diable à ressort, et Harmony, fragile danseuse mécanique. Ainsi que Scout, le basset pétri d’affection pour son jeune maître. En franchissant la porte entre les mondes, ils subissent une transformation radicale : physique, en devenant réels, et psychique, en développant des tempéraments plus affirmés que ceux de leur ancienne condition. Max est désormais un grizzly féroce, Bouffon un habile manieur de haches avide de batailles, tous se révèlent remplis de courage, hormis Percy, en perpétuel doute.
Les auteurs brossent finement chaque personnalité par petites touches, portant une attention particulière aux caractères de leurs personnages, observant leurs réactions, les antagonismes et les affinités au sein du groupe, leurs évolutions au fil des évènements, et composent une galerie de portraits pleine de subtilités. Deux longs chapitres principaux composent ce premier tome de L’étoffe des légendes : la première bataille - victorieuse - contre les troupes du Croquemitaine, dans laquelle se révèlent les capacités des sept acolytes, et, après la disparition tragique de l’un d’eux, leur étrange aventure dans La Marelle, une cité entièrement dévouée au jeu, mais un jeu cruel, sans gagnant, orchestré par le Maire et ses sbires. Autant d’occasions pour les héros d’éprouver leurs nouvelles capacités, dans cette expédition sonnant comme un écho de celle du père du garçon, combattant les nazis en Normandie.
Nouveau venu dans le monde de la bande dessinée, le dessinateur Charles Paul Wilson III signe ici un coup d’éclat : un dessin remarquablement expressif, réaliste, sous forme de crayonnés très poussés faiblement encrés, un soin constant porté au rendu des sentiments, une mise en page variée exploitant toutes les possibilités du format carré, le tout baignant dans des tons sépia et ivoire pour évoquer les photos jaunies des années 40. Alliant la qualité technique d’un illustrateur - ses vignettes pleine page sont splendides -, au sens du récit propre aux auteurs chevronnés, sa nomination en 2010 aux Eisner Awards comme meilleur jeune talent est loin d’être usurpée.
Épopée crépusculaire, dans laquelle les charmants comparses de Toy Story traverseraient le miroir d’Alice, mais vers un Obscur autrement plus sinistre que le pays des merveilles, ce premier volume de la saga - un troisième tome sort ce mois-ci aux USA - est une indubitable réussite, tant graphique que narrative, qui trouvera résolument sa place à côté des Légendes de la garde dans la bibliothèque des amateurs de fables vénéneuses et de contes baroques.
Les avis
mome
Le 04/12/2011 à 23:37:26
Alors je préfère vous prévenir tout de suite. Cet avis vous paraîtra peut-être dithyrambique mais je l'assume pleinement tant je suis sous le charme de cette BD.
Le thème est simple : des jouets se jettent dans le monde du croquemitaine pour retrouver un enfant qui vient d'être enlevé par ce monstre. Dans ce monde, il deviennent "réels".
A partir de là, débute une quête loin d'être simple, tendre, linéaire ou manichéenne. On est séduit dans un premier temps par les émotions nostalgiques liées à l'enfance,mais rassurez-vous, nous ne sommes pas dans du Disney. On retrouve tous l'aspect initiatique des contes et les thèmes abordés ici sont nombreux : le dévouement, la loyauté, le courage, la violence, la trahison, la peur, la manipulation,... Le chemin qu'empruntent nos héros s'avère dur, impitoyable. La narration est intelligente (à l'exemple des flash-back dans le monde réel nous livrant des informations sur les réactions à venir de certains personnages), sans réel temps mort tant les évènements s'enchaînent naturellement et les personnages (bons ou méchants) sont attrayants.
Et que dire du dessin! Il est juste fascinant. Je ne sais pas si je vais être très clair, mais le trait réaliste réussi l'exploit d'exprimer à la fois une certaine douceur et la violence des évènements et des sentiments. Les personnages sont expressifs et le dessin les dote vraiment d'une personnalité. La colorisation monochrome à base de jaune contribue pleinement à ce côté ancien, cette poésie liée à l'enfance.
Une fois la dernière page tournée, je n'ai eu qu'une envie : rouvrir ce livre afin de me plonger dans la contemplation des planches pour prolonger le plaisir. Et je l'avoue, j'ai cédé à la tentation.