Le 06/07/2024 à 07:23:24
Quand on pense à un environnement toxique, on pense au travail avec ses petits chefs pratiquant le harcèlement moral. C'est le cas de cette jeune femme Kate qui travaille au Canada pour une compagnie pétrolière qui exploite les sols. On va avoir droit à son témoignage aussi rare que bouleversant dans un refus du silence. Le Canada est un vaste pays. Il y a des régions où il n'y pas beaucoup de travail comme sur cette île de Terre-Neuve dont est originaire l'auteure ce qui provoque son départ pour l'Alberta, une région certes isolée mais avec des exploitations de sables bitumeux fournissant du travail au plus courageux. En effet, il faut le vouloir pour travailler dans des conditions de froid frôlant les moins 40 degrés. Autant dire que c'est une activité plutôt réservée aux hommes. Il y a certes quelques femmes qui peuvent travailler mais plutôt dans l'intendance et l'administration, bien au chaud. C'est là que va se retrouver notre héroïne. Elle va subir les blagues salaces de ces collègues uniquement masculins. Certains vont être un peu lourds avec elle qui se refusent à la moindre aventure. Non, c'est non. Cette attitude de rejet tout à fait légitime ne va pas du tout plaire à ces hommes travaillant dans des conditions extrêmes. Bref, l'environnement est toxique avec ce sexisme. Evidemment, on va trouver d'autres femmes pour lesquelles, il n'y a rien à redire. Ce n'est pas le cas de Kate qui dénonce courageusement les faits avec ce qu'il faut de pudeur tout en gardant son humour. Le ton est juste. Il est vrai qu'avec ce titre, on pourrait également penser à ces industries pétrolières qui polluent des régions entières du Canada contribuant ainsi au réchauffement climatique. Le Canada a payé un lourd tribut dernièrement avec des feux de forêt tellement gigantesques qu'on n'avait jamais vu ça, nulle part sur la planète. Oui, les dégâts écologiques sont manifestes avec cette exploitation du gaz de schiste. Cependant, même si ce problème est en toile de fond, c'est bien sur l'aspect humain que se concentre cette œuvre dénonciatrice. Comme dit, la particularité est que d'autres lois semblent s'appliquer dans des milieux isolés du reste de la société. Une sorte de communautarisme prend le dessus. Il faut alors s'adapter ce qui n'est pas simple quand on a certaines valeurs de respect. En même temps, on se rend compte que Kate est prise dans une sorte d'engrenage de la société fortement inégalitaire. Elle a payé pour faire des études et elle doit absolument rembourser ses dettes. Pour ce faire, elle s'éloigne de sa famille pour travailler en milieu hostile dans un virilisme ambiant. D'où une question : est-ce que c'est la société qui conduit insidieusement à cela ? Bref, la dépression du capitalisme... Sur la forme, j'ai trouvé cela un peu trop long avec des discussions parfois assez stériles mais qui révèlent bien l'authenticité d'une situation en apparence monotone pour nous mener à ces propos inacceptables de la part des hommes. J'aurais aimé que cela soit un peu plus synthétique car on finit quand même par s'ennuyer à la lecture sur 440 pages... Une œuvre sur la violence faite aux femmes qui pose pas mal de questions mais qu'il convient de lire pour se faire une idée un peu plus précise. Oui, cela se passe aussi au Canada.Le 15/04/2024 à 22:08:37
Après avoir lu A prix d’or, dans un tout autre registre, je me relance dans le monde de la mine, de l’écocide et de l'avilissement des hommes avec « Environnement toxique »... ...Un roman graphique qui a eu beaucoup de succès de l’autre côté de l’Atlantique, moins sur le vieux continent, l’esthétique du livre ainsi que son titre n’ayant pas attiré les foules. Car, si Kate Beaton s’est fortement employée pour ce pavé, son trait simple et ses têtes carré-rond ne cassent pas trois pattes à un canard. Des irrégularités dans le dessin m’ont fait sortir plusieurs fois du livre, comme à la page 75 où je venais pourtant de m’habituer au style de l’autrice. Heureusement, la BD a d’autres atouts et ses dessins renforcent tout de même l’empathie et l’identification aux personnages, le beau et le moche se diluant, se rapprochant. L’ambiance grisâtre et fatigante des villes champignons, ou autres camps de travail, m’a régulièrement fait penser à un jeu sérieux sur Arte, Fort McMoney (2013), avec des témoignages vidéos... Un reportage particulièrement innovant. Mais cessons les digressions et revenons à nos canards : la jeune Kate Beaton doit maintenant travailler pour payer son prêt étudiant (le futur de la France néolibérale...). Elle se retrouve employée dans une mine de pétrole de l’Alberta, à plusieurs milliers de kilomètres de chez elle, bon gré mal gré... Et, en plus des difficultés du travail, pas facile de s’intégrer... « J’aimerais bien avoir des potes. Mais ils ne veulent pas être mes potes. » (p. 137). Certains travailleurs, car il y a une très grande majorité de mecs, la voient surtout comme une source de réconfort, une poulette, de la chair fraiche... C’est aussi ce qui explique la réplique suivante : « Là où je vais, dans le meilleur des cas, je serai une gonzesse ! Et le reste, vous ne voulez pas savoir ! » (p. 268). En effet, comme d’autres femmes partout dans le monde, elle est victime de lourdeurs récurrentes, pour ne pas dire de harcèlement, de viols... Si l’un de ses « amis » lâche dans une de ses conversations « Les féministes, c’est juste un tas de salopes tarés qui savent pas de quoi elles parlent ! », il est rapidement blacklisté, sans qu’il ne comprenne vraiment pourquoi d’ailleurs (pages 289 et 373)... Ce ne sera pas une grosse perte. Cependant, l’histoire de Kate Beacon est plein de relief. Sa formation d’anthropologue lui permet de décrire avec justesse cette société de mineurs, avec qui elle partage les peines et les joies. Le titre original, « Ducks », évoque la mort de centaines de canards dans des mares de pétrole... Symbole de la surmortalité des peuples autochtones et par ricochet des hommes et des femmes piégés par la violence du système capitaliste... Déshumanisant. Une certaine expérience du Far West, bien loin de Blueberry...Le 18/05/2023 à 15:03:21
« Environnement toxique », c’est un drôle de pavé (plus de 400 pages), avec un titre qui joue sur plusieurs tableaux : d’abord la problématique de la pollution environnementale liée à l’extraction de ce type de pétrole, puis la course au rendement du secteur minier pour qui la santé des employés passe au second plan, et enfin la toxicité des rapports humains découlant de la misogynie dans une compagnie où l’embauche des femmes est infime, en raison des conditions de travail assez rudes. Kate Beaton, jeune autrice canadienne originaire de Nouvelle Ecosse, à la fois scénariste et dessinatrice de ce roman graphique impressionnant, a passé plusieurs années de sa jeune vie dans cette compagnie, pas vraiment pour le charme du métier mais plutôt en raison de l’attractivité des salaires. Ces années « sacrificielles » lui auront en effet permis de rembourser la totalité de son prêt étudiant, lui évitant de supporter ce fardeau pendant de longues années. Bienvenue dans le monde merveilleux du capitalisme. Disons-le d’emblée, Kate Beaton n’est absolument pas dans une optique de dénonciation, ni du machisme présent dans ce type de compagnie vis-à-vis de la gent féminine, ni des dégâts en matière environnementale ou sociale résultant de cette industrie où seul le profit compte. Et c’est ce qui pourrait paraître étrange, surtout au regard du titre. Ceux qui s’attendent à une attaque en règle contre les pratiques de ces sociétés en seront pour leurs frais. L’autrice ne revendique rien, elle ne fait que relater de façon la plus objective possible son expérience, sans arrière-pensées militantes et sans haine. D’ailleurs, la partie consacrée au préjudice écologique (notamment avec ces 400 canards englués dans les boues toxiques jouxtant la compagnie) est beaucoup plus réduite que celle où est abordée la question des relations hommes-femmes dans l’entreprise. Avant toute chose, la méthode d’exploitation des sables bitumineux n’a rien à voir, contrairement à ce que l’on pourrait croire au départ (à commencer par moi-même), avec la « fracturation hydraulique », une pratique catastrophique pour les écosystèmes, les nappes phréatiques et les sous-sols. Elle engendre néanmoins des préjudices pour les populations « autochtones » qui se sentent légitimement dépossédées de leurs terres ancestrales mais subissent aussi la pollution liée à l’extraction des ressources. Mais ces compagnies, dont les employés viennent des quatre coins du Canada en imaginant se payer leur place au soleil dans ce qu’on peut qualifier de « trou perdu », n’ont guère d’états d’âmes comme on peut l’imaginer, et ces populations ne pèsent pas grand-chose face aux puissances de l’argent. Kate Beaton a donc choisi d’évoquer son quotidien dans la compagnie, où pendant près de deux ans elle va encaisser en feignant l’indifférence les remarques désobligeantes et les regards lubriques de certains mâles (pas tous bien sûr) dans un milieu hyper masculin. Dans un tel contexte, il lui était difficile de se plaindre, d’autant que sa hiérarchie ne l’avait guère soutenue : il fallait s’attendre à ce genre de choses dans un monde d’hommes. Trop jeune, trop fragile peut-être, cette jeune fille ordinaire et discrète garda pour elle des choses parfois douloureuses qu’elle aurait dû dénoncer sur le moment. Et puis elle tenait à le rembourser rapidement son prêt ! L’autrice canadienne nous livre ainsi un témoignage sensible et nuancé (elle se refuse à mettre tous les hommes dans le même sac), où l’on voit que même si son expérience n’a rien d’un enfer traumatisant, elle est davantage comparable à une sorte de supplice chinois où la misogynie se distille à petite dose, comme un bizutage sournois qui n’en finirait pas et relèverait d’une tradition impossible à remettre en cause. La définition même de la toxicité. L’ouvrage malgré sa consistance se lit facilement. On peut considérer qu’il y a quelques longueurs, quelques redondances (il n’y pas de rebondissements spectaculaires, c’est juste un quotidien ordinaire dans une entreprise hors-normes qui est décrit) mais peut-être cette approche immersive était-elle nécessaire pour bien comprendre ce qu’est la toxicité des autres pour une femme « égarée » dans un monde masculin, laquelle ne saurait se résumer en une centaine de pages. Côté dessin, Beaton possède un style bien à elle, plutôt avenant dans ses rondeurs « toonesques », avec quelques imperfections qui reflètent assez bien ses doutes et sa fragilité intérieure. L’air de rien, « Environnement toxique » fait le taf en nous montrant comment, sans jugement, en suscitant l’empathie du lecteur quel que soit son sexe, le système patriarcal reste redoutable dans sa propension à réifier cette moitié de l’humanité longtemps considérée comme le « sexe faible », et qu’à côté de sujets plus graves comme le viol et la violence faite aux femmes, il y a aussi cette violence morale silencieuse dont on parle plus rarement, cette connivence des mâles assez malins pour rire « en meute » de leurs blagues graveleuses mais rarement assez téméraires pour affronter leurs consœurs sur le même terrain. Plus globalement, cet ouvrage évoque les violences muettes, des plus ordinaires au plus graves, résultant de pratiques sociales et environnementales néfastes, dont le socle commun pourrait bien être cette « virilité toxique » induite par ledit patriarcat.BDGest 2014 - Tous droits réservés